Francophonies en Limousin 2011 : Nouvelle génération, nouvelle grammaire

Pour la 28e année consécutive, le festival des Francophonies en Limousin, qui se tient du 28 septembre au 8 octobre à Limoges et ses environs, accueille des grands auteurs et artistes du spectacle vivant francophone. L’occasion pour les spectateurs de découvrir les principales tendances de la production théâtrale et artistique francophone, notamment africaine.

Les Francophonies ont toujours contribué à donner une visibilité aux talents venus du Sud : du Congolais Sony Labou Tansi et son comique rabelaisien, à la Camerounaise Were Were Liking et son opéra-théâtre, jusqu’à Wajdi Mouawad et sa verve épique - pour ne citer que les plus connus. La 28e édition des Francophonies, qui a débuté le 28 septembre dernier, ne déroge pas à la règle. Elle accueille ses nouveaux talents, des artistes africains dont les grammaires esthétiques sont riches des faillites, des désespoirs et de l’inventivité de l’Afrique des indépendances. A travers sa langue, pleine de vitalité et de violence, et ses images aussi troublantes que poétiques, cette nouvelle génération tisse la toile de la modernité artistique et théâtrale africaine.

Vertiges congolais

Figure majeure de la scène contemporaine francophone, le Congolais Dieudonné Niangouna - qui sera l’artiste-associé du festival d’Avignon 2013. Les pièces qui l’ont fait connaître - Carré Blanc (2002), Attitude clando (2008), Les Inepties volantes (2010) –, il les avait produites lors des précédentes éditions du festival. L’enfance, l’intime, voire même l’autobiographique sont les points de départ de son théâtre, qui s’est affirmé très vite comme politique, interrogeant la chose publique. Son discours est profondément subversif et critique, sans complaisance ni pour les acteurs domestiques de la dérive du pays, ni pour ceux qui tirent les ficelles de l’Histoire à partir des chancelleries occidentales.

Il a triomphé cette année avec Le Socle des vertiges, présenté en première mondiale. Une œuvre complexe, souvent opaque, qui mêle récitatif à l’ancienne et scénographie moderniste. Des images vidéo prolongent la parole : la pièce raconte les heurs et malheurs du Congo natal de l’auteur à travers le regard de deux frères grandissant dans les quartiers populaires et turbulents de Brazzaville. Le spectacle s’ouvre sur une scène qui donne le ton : le narrateur se verse sur la tête un sceau rempli de matière fécale ! Autre image saisissante : un homme-poisson, torse nu, contemple du haut de son indifférence la dérive du monde… Le satirique et le symbolique, la sauvagerie du vivant et l’exubérance d’une pensée baroque et lucide, cette alternance quasi-rituelle fait la force et l’originalité du théâtre de Niangouna.

Cette grammaire de l’abîme, si attachante, le Congolais la partage avec un grand nombre d’auteurs dramatiques de sa génération, comme le jeune et très prometteur Burkinabè Aristide Tarangada, venu avec Les Larmes du ciel d’août. Une pièce maîtrisée et austère, tout le contraire de l’écriture de Niangouna, mais qui rejoint ce dernier par le regard critique qu’il porte sur ses contemporains, sa société qui voue les plus faibles à la solitude et au désespoir. Le Comorien Soeuf Elbadawi, lui aussi en tête d’affiche, a inauguré l’édition 2011 avec Moroni Blues, un chant d’amour à sa ville natale riche en imprécations et autodérisions. Il n’échappe pas à la hantise propre à sa génération, de la nuit (post-)coloniale qui n’en finit pas de finir.

Négritude au féminin

Cette obsession du néant identitaire est au cœur du spectacle de la Franco-Ivoirienne Eva Doumbia qui a mis en scène un des moments les plus intenses et les plus poignants de cette édition. Créé en collaboration avec l’écrivaine congolaise Marie-Louise Bibish Mumbu, Moi et mon cheveu est un spectacle pluridisciplinaire (vidéo, théâtre, danse, chant), qui associe aussi l’histoire et l’anthropologie sociale. Décrite par son talentueux metteur en scène comme un « cabaret capillaire », la pièce raconte la négritude au féminin prenant pour prétexte le rapport de la femme noire avec son cheveu crépu. Eva Doumbia, elle-même métisse soumise aux humiliations de défrisages, tissages et autres supplices capillaires, s’interroge sur les tabous qui pèsent sur les cheveux crépus, derrière lesquels se cache une histoire de domination et d’aliénation identitaires, liée à la grande histoire de l’esclavage et de la colonisation. Trois heures durant, la formidable troupe composée de chanteuses et de danseuses originaires des quatre coins du monde noir, propose au public un spectacle qui, même s’il manque de liant, est une performance musicale et théâtrale. Son rythme endiablé continue de hanter le spectateur longtemps après la fin du spectacle.

Une preuve de plus que les Francophonies font œuvre utile. Pourtant la survie de cette manifestation est menacée à cause de sa situation financière catastrophique. Pour sa directrice, Marie-Agnès Sevestre, la responsabilité en incombe à l’Etat, notamment au ministère des Affaires étrangères qui depuis 2009 ne subventionne plus le festival, privant ce dernier de près de 20% de ses ressources !

 

 

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