RFI : Vous avez été l'un des premiers à écrire après les attentats du 11-Septembre, une pièce de théâtre où -comme dans un puzzle- vous avez mêlé les paroles de victimes mais aussi celles de ben Laden et de George W. Bush. Cela a été une sorte d'urgence pour vous de retranscrire ainsi à chaud cette matière quasi brute ?
Michel Vinaver : Je ne peux pas me retrouver dans l’état d’esprit où j’étais à ce moment là sinon qu’il fallait laisser une trace, une empreinte de l’évènement qui soit antérieure au déferlement que l’on pouvait attendre des commentaires. Je ne voulais pas faire un commentaire, je ne voulais pas faire une sorte de réflexion sur l’évènement, je voulais réfléchir l’évènement lui-même.
Qu’est ce qui vous a frappé au moment de l’attentat ?
M.V. : Le fait qu’on n’en faisait pas le tour, on ne le comprenait pas dans toutes ses facettes, ses réverbérations. Ce que je voulais, c’était marquer le coup sur un plan qui n’est pas celui du journalisme, qui n’est pas celui du commentaire, ni philosophique, ni rien, c’était marquer le coup, par une forme, une forme artistique.
Quel a été votre sentiment au moment où l’attentat du 11-Septembre a eu lieu ?
M.V. : C’était comme une espèce d’anesthésie.J’étais sous le coup sans pouvoir y réfléchir et comme si j’avais été atteint moi-même, dans mon corps.
Où étiez-vous à ce moment là ?
M.V. : J’étais chez moi à Paris. Quelqu’un m’a téléphoné : allumes le poste ! J’ai allumé le poste, je suis resté deux, trois heures, quatre heures je ne sais plus. J’ai eu beaucoup de mal à me lever d’ailleurs.
Connaissez-vous bien les Etats-Unis ?
M.V. : Je connais bien, c’est trop dire, mais oui je connais les Etats-Unis. D’ailleurs j’avais été sur l’une des deux tours, au sommet de l’une des deux tours, peut être deux ans avant. J’avais beaucoup traîné autour du World Trade Center. Pour moi c’était d’une architecture absolument transcendante, magnifique et je pense que leur destruction était comme une façon de boucler une boucle aussi sur le plan, disons architecturale.
Dix ans plus tard votre pièce 11 septembre 2001 est jouée par une cinquantaine de lycéens venus de la banlieue parisienne, et pour la plupart issus de l'immigration.
M.V. : Ces jeunes avaient autour de sept ans au moment de l’évènement. Pour la plupart ils ne s’étaient pas rendu compte de ce qui venait d’arriver. Dix ans après ils ont un rapport à cet évènement qui est lié à leur culture, lié à leurs origines et ce qui est tout à fait remarquable c’est que aussi diverses que soient ces origines et leurs histoires personnelles, aujourd’hui dans les rôles qui leurs sont attribués, ils forment un groupe absolument homogène. Et ce groupe homogène raconte la totalité des dix années qui ce sont passées sur le plan historique.
De quelle manière, le monde a évolué dix ans après le 11-Septembre ?
M.V. : Il y a eu un raidissement général sur des positions, sur des idées, sur des, je dirais même des croyances. Un des impacts de ce projet avec les lycéens de la Seine-Saint-Denis c’est que ce corset idéologique s’est desserré, et qu’il n’y a pas parmi ces jeunes une idée qu’on est, on continue à être dans cet affrontement entre deux cultures, entre deux religions, entre deux mondes. Non ils sont beaucoup plus dans une façon de trouver leur place dans un monde où l’horizon est maintenant incertain mais accueillant pour eux.
Ces jeunes réunissent beaucoup de nationalités différentes.
M.V. : D’abord je préciserais qu’il y a au moins 25 nationalités, dont ils sont originaires, mais parmi eux il y en a un certain nombre qui sont Français. Ce qui n’est plus maintenant dans leur esprit, ce sont toutes les hypothèses de complot par exemple. Cela a disparu, ce n’est pas ça qui les intéresse. Ce qui les intéresse c’est quel est mon avenir dans ce monde tel qu’il est transformé.
Le 11-Septembre a-t-il été générateur de xénophobie ?
M.V. : En tous cas il n’y a pas eu trace de ce phénomène de xénophobie dans le travail au cours des douze mois. Ce qui me frappe peut être plus que tout c’est la bienveillance des uns à l’égard des autres, quelque soit leur couleur, quelque soit leur nationalité, leur religion etc. C’est un projet qui a été générateur de gentillesse.
11 septembre 2001, pièce de théatre de Michel Vinaver, mise en scène par Arnaud Meunier, le 10 et 11 septembre 2011 au Théâtre de la Ville à Paris,