Mon petit bunker, la boîte noire littéraire de Marine Bramly

Mon petit bunker est le deuxième roman de Marine Bramly. Née en 1969 à Dakar, fille d’ethnologue, elle passe la plupart de son enfance sur l’île de Gorée, au Sénégal. Noah, l’héroïne du roman, semble ressembler comme deux gouttes d’eau à son auteure. Enfance géniale, ou enfance volée, quelque part du côté de Dakar, la jeune Noah est une petite toubab, mais cela ne fait pas de différence, elle a l’accent sénégalais. Dans ce roman clairement autobiographique, l’auteure nous fait part de ses souvenirs d’Afrique. 

RFI : Etes-vous d’accord avec Jean Genet qui disait : « Ecrire, c’est toujours parler de l’enfance » ?

Marine Bramly : Ce sont toujours des choses qui remontent. Donc, si cela remonte, c’est que c’est le passé. Et quand c’est le passé, c’est forcément un peu l’enfance.

RFI : Entre Noah et vous qu’y a-t-il de commun ? Une enfance à Dakar ?

M.B. : Entre Noah et moi il y a en commun l’enfance uniquement, puisque la même enfance n’a pas donné la même adulte. Comme Noah, mes parents se sont exilés à Dakar à 16 ans et 21 ans. Ma mère est enceinte de moi. J'ai été conçue sur les barricades [de mai 1968]. Eux, ils étaient des enfants de la grande bourgeoisie parisienne, et ils se sont amusés à couper complètement avec leurs familles et à élever leurs enfants – parce que nous étions trois – comme des gosses des rues, comme des petits Sénégalais, complètement en immersion totale.

RFI : L’héroïne de Mon Petit Bunker s’appelle Noah. Comment choisit-on un prénom quand on raconte en partie son histoire par la fiction ?

M.B. : Il fallait trouver un prénom qui soit biblique, parce que l'enfant, ses parents l’ont complètement idéalisé. Ce n’est pas elle qui idéalise son enfance. Ce sont ses parents qui lui ont fait une enfance digne de légende, dont elle va avoir tellement de mal à se remettre. Comment peut-on continuer à vivre ou être un adulte après une enfance pareille ? C’est le sujet du roman.  Il s’est passé plein de choses autour de sa naissance. Il y a eu des signes, il y a eu des choses très étranges, autour de cette naissance. Tout ça, alimenté par les parents, sur une base vraie, mais qui doit être fortuit. Enfin, il ne manquait plus que les rois mages. Donc, il fallait un prénom biblique qui puisse être quasiment messianique, d’où est arrivée Noah.

RFI : Dans le roman, Noah est une artiste d’une trentaine d’années. Elle vit à Paris, elle a un mari, elle est tentée par un amant, elle a une petite fille qui s’appelle Louise. Tout va à peu près bien, mais on sent quand même qu’elle est en crise.

M.B. : Sur le papier, tout va très bien. Elle a une fille charmante qui travaille bien à l’école, qui a 14 ans et qui est mignonne comme tout. Elle a un mari non moins charmant, très occupé, parce qu’il est historien d’art. Il est débordé parce qu’il doit sortir un livre. Il n’est pas très disponible alors il a toujours beaucoup pouponné sa femme qui est beaucoup plus jeune que lui. Elle va bien. On vient de lui passer une commande énorme. Et c’est justement quand tout va si bien que tout à coup tout va si mal.

RFI : Elle va repartir peu à peu vers son enfance. Vous dites même qu’elle va  « réintégrer » son enfance.  Réintégrer, c’est plus que se souvenir.

M.B. : Noah, dans ce moment de sa vie, vient d’avoir cette commande de façon totalement imprévue. Elle se trouve face à ce devoir d’agir et elle se trouve sans énergie. C’est quelqu’un qui s’est mis au point mort dans sa vie d’adulte pour préserver sa fille, pour ne pas être dans la répétition de l’histoire, parce qu’elle n’a pas eu de modèle parental. Sa vie s’est complètement éteinte comme cela, mais cela a fonctionné pendant quinze ans assez agréablement. Quand il y a cette commande, tout à coup, elle n’a plus d’énergie pour créer alors qu’elle est plutôt très douée de ses doigts. Mais elle a une date de livraison pour sa commande. Il va falloir s’y mettre. En retournant dans son passé –mais ce n’est pas elle qu’y retourne, c’est par un jeu littéraire- elle ne se souvient pas tellement. C’est le passé qui s’impose et qui vient au lecteur. Elle va réintégrer l’énergie de ses onze ans quand elle a été une petite fille assez atypique, très forte et courageuse.

Marine Bramly : Mon petit bunker, éditions JC Lattès

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