RFI : Pourquoi votre film Cross porte en anglais le titre Cross Country Run ?
Marina Vrady : Le titre original s’appelle simplement Cross. Pour moi, le titre anglais Cross Country Run n’est pas l’original, c’est juste pour mieux expliquer de quoi il s’agit. Il s’agit d’adolescents qui courent, c’est leur exercice d’école. Ils font cela pour obtenir une note.
RFI : Le garçon dans le film est toujours en train de courir : pour le sport, pour fuir une bagarre, il y a un homme qui court dans un mégaballon comme un hamster dans une roue. Pour vous, la vie est une course et vivre signifie courir ?
M. V. : Moi-même, je me pose cette question assez souvent. Ce que je fais, est-ce que c’est important pour les gens ? Pourquoi je fais ce que je suis en train de faire ? Tout d’abord, cette course, c’est ma course à moi. C’est moi qui fais le « cross ». Donc, c’est moi qui pose cette question à moi-même : est-ce que c’est important de faire ce que je suis en train de faire ? Est-ce que les films sont capables de changer le monde ou pas ? Tout d’abord, c’est mon « cross » à moi. Et c’est moi, l’héros principal de ce film. Je suis Ukrainienne et je fais le « cross » dans mon propre pays.
RFI : Votre film ne démarre pas avec une image, mais avec du son. On entend le train rouler sur la voie. Quelle place occupe la bande sonore dans votre film ?
M. V. : Le son était pour moi toujours très important. Il s’agit presque uniquement du son naturel, capté sur place pendant le tournage. C’est un son réel, mais traité comme de la musique. Par exemple quand on entend des voix, mais sans pouvoir décerner de quelle langue il s’agit, par exemple quand une mère dit quelque chose à sa fille pour attirer son attention ou les gens à la plage. J’aime capter la fragilité d’un son naturel. C’est pour cela que je n’ai pas mis de la musique enregistrée dans le film.
RFI : C’était très difficile pour vous de réaliser ce film ?
M. V. : Quand j’ai commencé, j’étais toute seule et maintenant on est plusieurs. Les deux côtés, la côté française et la côté ukrainienne, m’ont beaucoup aidée. Mais l’étape la plus difficile de ce chemin, c’était le début. Je ne crois pas que c’est quelque chose d’original. Quand on commence, on est toujours seule.
RFI : C’était votre premier film ?
M. V. : C’est mon premier film après mon école de cinéma. Pendant les études, j’avais fait quatre films. J’ai fait mes études à l’Université nationale des arts théâtraux et cinématographiques à Kiev, mais pour moi, le plus important, ce sont les personnes, les maîtres avec qui j’ai appris.
RFI : Dans la fiche de votre film apparaissent l’Ukraine et la France. C’est une coproduction franco-ukrainienne ?
M.V. : Absolument, c'est une production franco-ukrainienne. Je suis heureuse de représenter ces deux beaux pays la France et l’Ukraine au Festival de Cannes.
RFI : Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être dans la compétition officielle des courts métrages ?
M.V. : Il s’agit du travail. Du travail tout simplement. Peut-être cela me donnerai plus de possibilité de m’exprimer. Ce sont mes ambitions. J’espère qu’avec mes travaux, je peux faire du bien aux gens qui habitent en Ukraine.
RFI : Qu’est-ce que votre participation à Cannes va changer pour vous ?
M.V. : Cela dépend surtout de moi-même. Cela ne peut rien changer, en même temps cela peut changer beaucoup de choses. J’essaie toujours de rester moi-même, de savoir et de me rendre compte que je peux rester toute seule à la fin des choses.
RFI : La situation des courts métrages est-elle la même en Ukraine qu'en France ?
M.V. : En Ukraine, on est en train de créer l’espace qui nous permettra de nous exprimer, d’essayer de faire des films et de créer la possibilité pour trouver des financements, pour pouvoir réaliser nos idées. Bien sûr, il y a beaucoup plus de possibilités pour cela en Europe, mais nous sommes en train de créer cette espace créative en Ukraine.
RFI : Comment le film va poursuivre sa carrière ? Aux festivals, à la télévision, sur DVD ?
M.V. : On est en train de voir cela avec mes producteurs. Je ne sais pas si le film sera diffusé à la télévision ukrainienne, mais peut-être en Europe. Tout d’abord, il le sera dans les festivals, après dans les salles en France et après on va voir. J’ai envie d’organiser plus de projections spéciales et plus de discussion autour du film en Ukraine. Le plus possible dans les différentes villes. Pour moi, le public ukrainien est aussi important que le public du festival de Cannes.
RFI : Pouvez-vous vivre de votre travail cinématographique ?
M. V. : En Ukraine, il est possible de gagner sa vie en faisant du cinéma, notamment si on travaille pour la télévision. J’ai déjà travaillé sur un film télévisé. Cela m’a permis de gagner un peu d’argent. Maintenant, je peux me permettre de vivre avec ce que je gagne en faisant des films. Je ne sais pas ce qui va arriver, ce n’est pas certain. Pour les artistes, il y a toujours un conflit entre la survie et ce qu'on fait pour survivre.