« Monsieur le Président, à qui est attribué la Palme d’or ? » Réponse de Robert De Niro : The Tree of life. Un chef d’œuvre du XXIe siècle pour les uns, l’aventure cinématographique de Terrence Malick se résume comme un film prétentieux et moralisateur pour les autres. Le film réunit un duo de rêve : Brad Pitt et Sean Penn. Le récit se déroule dans le Texas des années 1950. Un enfant grandit entre un père autoritaire et une mère aimante. Même après la Palme d’or, la question reste ouverte : illustration pseudo-naturaliste de la Bible ou coup de génie du réalisateur légendaire ? Fidèle à sa réputation, le réalisateur n’était pas dans la salle et c’est le producteur qui a parlé à sa place : « Terrence n’est pas là. Il est incorrigiblement timide et discret. Je sais qu’il est heureux d’avoir ce prix. C’était un long parcours. »
Le Grand Prix, a été attribué à deux films ex-aequo : Le Gamin au véloet Bir Zamanlar Anadadolu’da(Il était une fois en Anatolie). « Merci d’avoir pensé à ce gamin au vélo qui est là, dans la salle », se sont exclamésJean-Pierre et Luc Dardenne. Avec Le Gamin au vélo, les réalisateurs belges étaient partis pour obtenir leur troisième Palme d’or, ils se « consolent » avec le Grand Prix pour leur conte des temps modernes. Ils ont engagé Cécile de France pour incarner la coiffeuse Samantha qui s’acharne à sauver cet enfant perdu, joué par Thomas Doret. Le Gamin au vélo est un vaudeville social sans chansons, mais entrecoupé de scènes de bicyclette. Un garçon de 11 ans, sans mère et abandonné par son père, fugue à tout va jusqu'à ce qu’il trouve sa place dans la vie, à côté de Cécile de France. Les frères Dardenne inventent le vélo movie, du cinéma social vissé sur la selle d’un vélo.
Nuri Bilge Ceylan a été visiblement le réalisateur le plus étonné de pouvoir partagé ce Grand Prix. « C’est un film difficile. Je ne m’y attendais absolument pas. » Bir Zamanlar Anadadolu’da (Il était une fois en Anatolie) était le film le plus long de la compétition et certainement le plus cruel pour les spectateurs. Le réalisateur turc raconte une expédition dans les steppes turques. Des policiers ont embarqué deux suspects menottés qui doivent leur indiquer le lieu où ils ont enterré le corps d’un homme tué. Le problème : les malfrats ne se souviennent plus très bien du lieu exact et la colonne se perd dans l’abîme anatolienne. Pendant 157 minutes, Nuri Bilge Ceylan dilate le temps à l’écran. Le véritable film est hors cadre et commence après la projection. Il était une fois en Anatolie, n’est pas un conte, mais une leçon de cinéma.
Le Prix du jury pour Polisse a été accueilli dans la salle avec un concert de sifflées. Maïwenn, arrivée au podium complètement essoufflée, a d’abord insisté à remercier tous les huit membres du jury avant de confier : « Ma fille m’avait dit : "tu seras incapable de recevoir un prix sans pleurer". » En effet, elle a fini par verser des larmes. Malgré la critique de certains d’avoir tournée plutôt une version cinématographique du feuilleton télévisé Plus belle la vie à la Brigade de Protection des Mineurs, Maïwenn, se retrouve ainsi, à 35 ans, dans la cour des grands. Le polar montre des policiers et policières qui sauvent des enfants, cassent les façades, mais brisent souvent aussi leur propre vie de famille.
Pour ceux qui ont vu Melancholia de Lars Von Trier, le Prix d’interprétation féminine pour Kirsten Dunst était presque une fatalité. Elle y incarne la belle Justine, directrice artistique dans une agence de pub, mais très mal dans sa peau. Avec une limpidité incroyable, elle joue la partie dépressive, mélancolique et errante des sœurs antinomiques qui se préparent à la fin du monde. Comme dans le film, Charlotte Gainsbourg (sa sœur Claire), a les pieds sur terre mais finalement aucune chance contre elle. « C’est une honneur qu’on vive qu’une fois dans la vie d’une actrice » remarque à juste titre une Kirsten Dunst qui n’avait jusque-là jamais un prix important. Arrivé au zénith, elle n’a oublié de remercier le trublion et réalisateur Lars Von Trier qui a été exclu du Festival pour ses propos sur Hitler. « Merci à Lars Von Trier de m’avoir donné la possibilité d’être si libre. »
Le Prix d’interprétation masculine a déclenché une immense joie. Jean Dujardin a embrassé tout le monde avant de s’incliner devant le jury. Après un petit numéro de claquettes, avant de déclarer, tout souriant : « Merci, on m’a dit d’en profiter. Je vais partager ce prix avec Bérénice Bejo, ma partenaire. Et merci à Michou, Michel Hazanavicius. J’espère faire d’autres films muets avec toi. » The Artist était la grande révélation du Festival. Le réalisateur Michel Hazanavicius nous propulse dans le Hollywood de la fin des années 1920 et prouve avec une audace incroyable qu’il est possible, au 21e siècle, de révolutionner le cinéma avec un film muet. Bérénice Bejo incarne dans le film la nouvelle star du cinéma parlant qui annonce la chute de l’acteur fétiche du muet, joué brillamment par Jean Dujardin. Un mélodrame muet et de surcroît en noir et blanc qui fait un pied de nez aux méga-productions en 3D du XXIe siècle.
Josef Cedar a obtenu le Prix du scénario pour son œuvre originaleHearat Shulayim (Footnote). Une distinction tellement inespérée que le réalisateur ne se trouvait pas dans la salle. Drame ? Comédie intellectuelle ? Chronique familiale ? Dialogue religieux ? Le film est un peu tout cela et décrypte une histoire juive à Jérusalem. Deux chercheurs du Talmud, père et fils, se disputent le très prestigieux Prix d’Israël. Une tragédie où deux visions de la vie et de la science se confrontent, racontée sur un ton léger.
Depuis l’annonce du palmarès on sait aussi pourquoi Robert De Niro avait tellement souri ce soir en montant les marches. Drive, du réalisateur danois Nicolas Winding Refn, a eu le Prix de la mise en scène. « C’est un immense honneur » a déclaré le réalisateur. Sur mon iphone, j’ai une petite liste des personnes que je dois remercier : Ryan Gosling, le rôle principal, qui m’a donné l’occasion de faire ce film. Ma mère qui me dit depuis la naissance que je suis un génie. » Ce thriller est un digne successeur du mythique Taxi Driver, la Palme d’or en 1976. Drive est le récit d’un homme solitaire avec une double vie derrière le volant de sa voiture. Un portrait d’un être énigmatique qui traque le mal.
Le scénario ciselé est à la hauteur du jeu épuré de l’acteur Ryan Gosling alias « The Driver ». Nicolas Winding Refn trace sa route pour la mise en scène avec un scalpel, tellement petite est la marge de manœuvre. Il faut éviter de ne pas tomber dans un film d’action. Les travellings nocturnes de Los Angeles sont un délice. Avec sa course folle, Drive nous envoie tranquillement dans le ring. A la fin, c’est le film qui gagne, un simple thriller devient une aventure cinématographique passionnante.
La Caméra d'or de cette année a été sélectionné dans la 50e Semaine de la Critique. Las Acacias est la première réalisation du monteur argentin Pablo Giorgelli. Le réalisateur avait fait appel à Salvador Roselli pour écrire le scénario. Las Acacias raconte l’histoire de Rubén, un camionneur chevronné, chargé de transporter des troncs d'acacias entre le Paraguay et l'Argentine.
Le seul film (demi-)français en course dans la catégorie des courts métrages a été primé avec la Palme d’or du court métrage. Cross de l’Ukraine Maryna Vroda investit le cross comme métaphore de la vie. On suit pendant 15 minutes un garçon que l'on force à courir, puis court de lui même, puis regarde un autre courir. Il y a un train qui roule, un homme entre les voies, des lycéens qui courent, des jeunes qui se bagarrent, une mégaboule qui flotte sur un lac, à l’intérieur un homme qui court comme un hamster dans sa roue. Avec des images fortes, elle réussit à créer un monde bien à elle et une histoire universelle.