Laurence Théault: Comment envisager l’impact des primaires sur le débat public dans les mois qui viennent ?
Olivier Rouquan: Les primaires vont bientôt commencer chez les Verts et au Parti socialiste. Ce calendrier va pendant plusieurs mois focaliser l’attention sur les propositions, mais aussi sur les éventuels clivages ou à tout le moins, les différences, entre présidentiables de gauche. Les gauches radicales vont aussi donner leurs avis sur ces débats internes.
La droite va donc pouvoir s’éclipser un temps de l’agenda politique médiatique, ce qui pour elle constitue une chance. En effet, ni la confiance actuelle en ses leaders, ni les performances des politiques gouvernementales, ne peuvent lui donner l’espoir d’un retour en grâce rapide dans l’opinion.
Mieux vaut se faire oublier. J.-L. Borloo, D. De Villepin et quelques autres à condition de franchir le périphérique médiatique, pourront développer leurs idées et surtout, décliner quelques postures en guise de figuration… Mais sauf événement majeur, l’essentiel du terrain sera donc occupé par les débats entre socialistes.
Laurence Théault: Á cet égard, quels sont les risques de ce qui apparaît à première vue, comme un avantage ?
Olivier Rouquan: Le premier risque est l’organisation notamment juridique, de ces primaires : la procédure peut donner lieu à des complications qui entraînent un second inconvénient, la démobilisation des électeurs potentiels. Si tout ceci est trop complexe, et n’utilise pas suffisamment Internet notamment, alors, la « révolution » des primaires, sera un épiphénomène.
Par ailleurs, au-delà d’une mobilisation trop faible, il ne faut pas négliger le risque de piratage. Il y a en France, des pratiques politiques de coups tordus, à droite comme à gauche ; le dispositif des primaires prémunit-il sérieusement contre une forme d’entrisme électoral ?
Imaginons que les primaires se déroulent correctement et avec un bon taux de participation. Il n’en demeure pas moins qu’elles vont opposer pendant plusieurs mois des présidentiables qui vont avoir le souci, le temps du consensus sur le projet passé, de se démarquer.
Le second risque réside donc dans les traces qu’elles peuvent laisser lors de la campagne présidentielle : en 2007, les primaires se sont déroulées dans un climat en apparence acceptable, mais ensuite pendant la « vraie » campagne, les relations entre éléphants se sont nettement dégradées, au vu et au su de l’opinion. Alors, « rebelote » ? La force du leadership de M. Aubry sur le parti est d’avoir rétabli la discussion et l’esprit de coopération. Le second élément favorable à un climat pacifié, est la volonté de gagner, le sentiment partagé que le contexte est favorable.
Mais une précampagne finalement assez longue, va aiguiser les tensions. Tout ceci, les leaders socialistes le savent ; ils devront le gérer, au-delà des passions politiques qui les ont emportés, depuis qu’aucun leader ne s’est durablement installé à la tête de leur parti.
Laurence Théault: Le fait que le leader du parti ne soit pas forcément le présidentiable pose-t-il un problème ?
Olivier Rouquan: Il y a en effet une troisième interrogation : le calendrier choisi va placer aux commandes, un présidentiable qui, s’il n’est pas Martine Aubry, n’aura pas été le patron des socialistes et l’acteur principal des relations avec les autres partis, deux ans au moins avant l’échéance. Est-ce un avantage ou un inconvénient ? On peut penser qu’il s’agit d’une carence.
Car un parti, même insuffisant, reste le socle d’une campagne réussie. Mais à l’instar de ce qui s’est passé aux US avec Obama, l’argument selon lequel une présidentielle se gagne via une campagne innovante, axée sur un changement visible et médiatique et au-delà de l’enfermement partisan, est connu ; alors après tout, pourquoi la tactique ne vaudrait-elle pas aussi en France ?
Une fraction croissante de l’électorat, aux repères politiques plus instables, peut être séduite par des campagnes plus charismatiques que programmatiques. Telle a été la force de la stratégie de S. Royal en 2007, l’une de ses limites ayant cependant été, de négliger ses assises partisanes. Surtout qu’à gauche, une partie de l’électorat fidèle, reste marquée par l’attachement à la culture de parti.
Laurence Théault: Finalement, le timing est-il trop juste pour valoriser ensuite un candidat qui sera choisi à l’automne prochain ?
Olivier Rouquan: Quatrième risque en effet, et cette fois au regard de la seule logique médiatique, le temps laissé à la construction d’une incarnation crédible sera-t-il suffisant ? En 1995, une partie de l’électorat, notamment jeune, a été enthousiasmé par le charisme chiraquien fondé sur l’empathie et la proximité de la souffrance sociale.
Une partie des électeurs a interprété la traversée du désert de deux ans de J. Chirac – refus d’exercer le pouvoir lors de la troisième cohabitation – avec sympathie : « comme nous, il en a bave ce candidat » ! Pour cet électorat, la recherche d’identification n’est pas à négliger.
Très marqués par la crise financière, les électeurs de 2012 seront peut-être à nouveau en quête d’une incarnation des manques d’ascension sociale, de richesses, et même, de bien être… Pour rendre crédible un charisme fondé sur ce type de proximité, le candidat doit préalablement passer du temps à se rapprocher « des vrais gens ». Pour ce faire, le calendrier choisi est-il le bon ?