Cent un poètes, vingt-quatre pays et onze langues sont réunis dans une nouvelle anthologie de la poésie de la Méditerranée que viennent de publier les éditions Gallimard en collaboration avec le département « Livre et Ecrit » de Culturesfrance, rebaptisé depuis peu l’Institut français. Ce volume très riche de près de mille pages – qui rassemble quatre générations de poètes contemporains – fera pendant le premier semestre 2011 l’objet d’événements de lancement dans les capitales méditerranéennes à travers le réseau culturel français. La dernière rencontre en date, du 5 au 8 avril au Centre culturel français d’Alger avait pour invité d’honneur le poète français Bernard Noël.
Des voix qui entrent en résonance autant qu’en dissonance
« Nous avons imaginé cet ensemble de poèmes comme un voyage ; partant d’Athènes, la ville de nos commencements, se poursuivant vers l’Est ; la Turquie, le monde arabe et Israël, remontant vers la Péninsule ibérique, la France, l’Italie ; s’achevant à l’Ouest où s’éteint le jour, chez les Slaves du Sud, plus précisément en Macédoine, aux limites nord de la Grèce », explique Eglal Errera, l’auteur de cette anthologie.
C’est à un périple quasi homérique qu’invite ce volume à travers les langues différentes, « la rumeur des langues », les voix qui entrent en résonance autant qu’en dissonance, convoquant les réalités souvent disparates de leurs vécus.
Ces voix sont celles des poètes serbes, bosniaques, albanais ainsi que syriens, français, italiens, poètes ennemis mis parfois côte à côte comme les Israéliens et les Palestiniens, les Grecs et les Turcs, les Albanais et les Macédoniens. Ce qui les réunit, c’est la Méditerranée – Mare nostrum – sur laquelle les vingt-quatre pays représentés ici possèdent une façade.
Ce qui les réunit : la lumière éclatante et indicible
Ce qui les réunit, c’est aussi la lumière éclatante et indicible, très méditerranéenne, qui imprègne les paroles des poètes et leurs imaginaires. Le vocable « lumière » est répété comme une incantation d’une page à l’autre. Cette lumière est d’ailleurs présente dès la très belle couverture illustrée par l’or du soleil sicilien de La Plage à Agrigente, de Nicolas de Staël. Un festival de couleurs qui sont formes et différences, réunies dans une symphonie harmonieuse sur le canevas du monde.
Cette association de la poésie, de la mer et de la lumière est aussi mise en exergue dans la très belle et érudite préface qu’a donnée le français Yves Bonnefoy. « La Méditerranée a toujours été ce creuset où ce sont des rencontres, des échanges qui pourraient se faire / l’or de la pensée enfin vraie si obstinément désirée et si constamment trahie par la société humaine », écrit le grand poète.
« La poésie est née très tôt, en Méditerranée. Et presque aussitôt elle y a parlé haut et fort, poursuit Bonnefoy. C’est elle qui, en Mésopotamie, dans la geste de Gilgamesh, cherche à donner aux princes et aux guerriers une conscience morale, une expérience qui, à Athènes, chez les Tragiques, entreprend cet échange parlant fort, dans ces sociétés éclairées, elle y a aussi parlé pendant de longs siècles. Sa tâche de vigilance, si bien comprise dans l’Enéide, est confiée par Virgile à Dante, elle sera reprise par la Jérusalem délivrée, par Cervantès, lui aussi un poète, par Leopardi. Et Cavafy, Séféris l’assumaient encore, et hier même on le constatait un des grands soucis de Mahmoud Darwich. »
L’amour viendra ré-enchanter le monde
Les Tahar Ben Jelloun, Adonis, Salah Stétié, Lorain Gaspar, Jacques Roubaud, Vénus Khoury Ghata, Andrée Chédid, Sanguinetti, Ismaïl Kadaré, Antonio Ramos Rosa, pour ne citer que les plus connus des cent un poètes qui figurent dans cette anthologie, sont héritiers de cette grande tradition. Ils renouvellent à leur tour la pensée de la Méditerranée en y inscrivant des thématiques d’aujourd’hui (guerre israélo-palestinienne, féminisme, fin du sacré et laïcité) et leurs inquiétudes face aux injustices du monde qui se déploient sur les rives méditerranéennes comme dans les autres régions du globe.
Mais le poète sait que l’amour (métaphore de la paix ?) viendra ré-enchanter le monde et que le désespoir n’est jamais le dernier mot. C’est ce que chante le Palestinien Taha Mohammed Ali à son Amira perdue et retrouvée : « O Amira, j’ai un sentiment fort et étrange/Qui se renforce chaque hiver/Et devient plus étrange/Je sens qu’un jour tu reviendras/Avec ces oiseaux/ Colombe d’olivier/ Colombe charmante/ Colombe parfumée/ Colombe gracieuse, douce et inquiète/ Qui se pose sur le cerisier de notre jardin/ (…)Dès que je la verrai, je la reconnaîtrai/ Je reconnaîtrai les colliers des catastrophes/ Autour de son tendre cou/ Je reconnaîtrai les regards printaniers et purs/ Ses regards chargés de rosée/ Comme les rêves des lacs… »
Les Poètes de la Méditerranée, anthologie réunie par Eglal Errera, préface de Yves Bonnefoy. Edition plurilingue. Coédition Gallimard/Culturesfrance, 2011. Collection Poésie/Gallimard, 960 pages.