La Gare Saint-Lazare de Claude Monet, La Seine et le Louvre de Camille Pissarro, Femmes à la terrasse d’un café le soir de Degas, Rue de Paris, temps de pluie de Gustave Caillebotte… les visiteurs de l’exposition Paris au temps des impressionnistes retrouveront leurs chefs-d’œuvre préférés, mais là ne réside pas l’essentiel. Heureusement, l’exposition n’aime pas la répétition et met en scène un regard inédit sur Paris et le peuple parisien.
« Nous avons souhaité montrer comment était Paris et comment Paris a été vu par les artistes au temps des impressionnistes, explique Isabelle Julia, l’une des deux conservateurs au Musée d’Orsay qui ont conçu l’exposition. Donc, il y a les artistes impressionnistes eux-mêmes, mais également des amis des impressionnistes qui ne sont pas connus ou moins connus que les impressionnistes à l’heure actuelle, mais qui nous montrent Paris dans toute sa diversité, dans tous les changements qui ont lieu entre 1865 et 1900. »
Une nouvelle peinture dans une nouvelle ville
Il y avait des peintres comme Cézanne, Gauguin, Renoir qui ont détesté ce nouveau Paris, construit par Hausmann et Napoléon III. Entre 1841 et 1900 on a construit 1 240 nouveaux immeubles par an, rapporte Caroline Mathieu, conservateur en chef au musée d’Orsay et co-commissaire de l’exposition.
La plupart des artistes était fascinée par cette ville en mouvement qui n’était pas un décor, mais de la matière vivante d’une nouvelle modernité.
« La cathédrale Notre-Dame par exemple, avant, vous aviez des bâtiments qui allaient jusqu’à ses murs, au Louvre aussi, il y avait des masures appuyées sur les murs du Louvre. C’était une ville sombre, très cloisonnée, vous tombiez toujours sur un mur de maison, il fallait faire un détour immense pour changer de quartier. Et là, ils arrivent dans une ville dégagée qui est vraiment lumineuse avec des grandes allées profilées. Une ville d’une poésie et d’une modernité extraordinaire. Les peintres voulaient trouver une nouvelle peinture. Avec cette nouvelle ville ils ont trouvé une nouvelle aventure picturale, des nouveaux moyens d’expressions.»
Paris en chantier
L’exposition nous accueille avec une série époustouflante de Paris en chantier où le bruit
de la ville claque sur les toiles: dans le tableau de Paul Désiré Trouillebert, des grosses pierres bloquant la rue annoncent les Travaux de relèvement du chemin de fer de ceinture. Sur La Place des Pyramides de Giuseppe De Nittis trônent des échafaudages et la statue de Jeanne d’Arc mouillée par une pluie fine. Maximilien Luce est un peintre des révoltes anarchistes et du monde ouvrier.
Dans Le Chantier règne un tel fourmillement d’ouvriers, de grues et de couleurs posé à coup de pinceau épais qu’on comprend que le peintre était « épris de la pierre et du fer » des villes. « Cet extraordinaire tableau n’est pas très grand, mais il est monumental, s’enflamme Caroline Mathieu. Luce était un homme qui était absolument passionné par la modernité, mais aussi par la difficulté de la vie des ouvriers du bâtiment qui était très dure à cette période-là. Luce est à la fois passionné par cette espèce de calligraphie des échafaudages qu’on voyait dans Paris, mais aussi par la difficulté des hommes qui bâtissent ces maisons. J’ai essayé de montrer ce côté très humain dans l’exposition. »
Les parapluies de Paris
Egalement magique s’avère une petite série de dessins sur le thème des parapluies à Paris : Charles Paul Renouard capte les Visiteurs à l’exposition de 1900 sous une pluie torrentielle et révèle ainsi la rapidité de la vie parisienne. Marie Bracquemond fait de son dessin Les Parapluies en crayon noir et mine de plomb une véritable étude d’une société parisienne qui reste élégante, même sous la pluie battante.
Théophile Steinlen restitue le regard voilé sous la pluie parisienne à travers d’une Vue d’une rue sous la pluie et piétons s’abritant sous leur parapluie. « Le parapluie était une chose assez à la mode et assez nouvelle, explique Isabelle Julia. Ce sont des images non-attendues, non-convenues de la représentation de la foule à Paris pendant cette fin du 19e siècle. On ne circulait plus ou moins dans des carrosses fermés et la bourgeoisie et la petite bourgeoisie est dans la rue – avec des parapluies pour se protéger. Ce que nous avons essayé de montrer, c’était la vie quotidienne, la vie qui existait vraiment, mais qui n’est pas la vie qu’on imagine généralement et qui ne se retrouve pas sur une boîte aux chocolats. »
La Charge d’André Devambez
Paris au temps des impressionnistes, ce n’est pas un récit idyllique sur une ville embellie, mais un manifeste pour montrer la réalité, les changements et les mouvements de cette Ville lumière, capitale autoproclamée de la joie de vivre. Sur les cimaises on admire les belles promenades de la bourgeoisie, les boulevards, les cafés, l’opéra, les portraits des Parisiennes à la Belle Epoque, mais on réalise aussi la misère inouïe des pauvres, l’interdiction des grèves, les attentats des anarchistes, la famine pendant le siège de Paris en 1870 ou la répression violente :
« Paris était aussi une ville tragique, rappelle la commissaire Caroline Mathieu. Il ne faut pas oublier que ce qu’on appelle la Belle Epoque est, en fait, le prélude de la grande hécatombe de la guerre de 1914-18 et de la grande lutte sociale et aussi des luttes politiques. Ce tableau absolument saisissant La Charge d’André Devambez vous montre, en vue plongeante, une manifestation en plein cœur de Paris sur les boulevards à Paris avec l’affrontement de la troupe et des hommes épris de liberté et de modernité. »
La ville de tous les plaisirs
Paris au temps des impressionnistes dévoile même la tristesse au milieu des bals populaires, des concerts, de la prostitution, de l’homosexualité dans cette « ville de tous les plaisirs » où le champagne coule à flot. L’exposition nous prend à contrepied quand elle n’accroche pas les affiches flamboyantes de Toulouse-Lautrec, mais un dessin sublime et accablant à la fois.
Seule montre sur un bout de carton le gouffre d’une femme renversée sur un lit défait dans une maison close. La chevelure rousse de la femme signalait au 19e siècle la réprobation de la société. « Toulouse-Lautrec montre la difficulté du travail auquel elle doit se livrer. C’est aussi la solitude. Toulouse-Lautrec a énormément représenté les prostitués en s’interrogeant ce que pouvait être la portée du labeur de ces femmes. » Le trait surprenant et la forme bouleversante de ce dessin auront même impressionnés des futurs maîtres comme Klimt et Picasso.
Autre révélation de l’exposition, des photographies de l’époque projetées au mur de la salle Saint-Jean à l’Hôtel de Ville. « On voit des choses totalement oubliées, s’enthousiasme Caroline Mathieu, par exemple le grand défilée du carnaval du mardi gras qui bat son plein dans les boulevards. On voit des gens patiner parce que la Seine et le lac dans le Bois de Boulogne sont gelés. On voit la vie du peuple de Paris à cette époque, c’est passionnant. »
Paris au temps des impressionnistes, exposition dans la salle Saint-Jean de l'Hôtel de Ville de Paris, du 12 avril au 23 juillet. Entrée libre.