C’est la conservatrice en chef du musée Matisse à Cateau-Cambrésis, Dominique Szymusiak, qui nous guide dans les sphères mystiques et glaciales des Inuits. « Le début de cette histoire vient de la donation par Claude et Barbara Duthuit, le petit-fils de Matisse, de toutes les planches pour l'illustration du livre de son père Une fête en Cimmérie que Georges Duthuit va écrire durant la guerre et après son séjour à New York et qui va ramener en France une collection de masques extraordinaires et un texte qui va être une espèce de promenade épique entre l'Alaska et New York. »
Cateau-Cambrésis est la ville natale du peintre Henri Matisse, né le 31 décembre 1869. C'est ici dans une imposante bâtisse du 18e siècle que l'on peut admirer Les Esquimaux vus par Matisse, sauf que Matisse n'a jamais vu les Esquimaux en vrai. Par contre, il s'est amplement documenté. « Il va avoir des livres de Rasmussen, de l’aventurier français Gontran de Poncins, il va se passionner pour des portraits photographiés et des films aussi, Nanouk l'Esquimau du réalisateur américain Robert Flaherty. Et les masques servaient à concrétiser les esprits, les matérialiser dans ce monde inuit. Or, une des recherches de Matisse c'est aller au-delà du portrait, rentrer dans la personnalité de chacun de façon à donner l'âme de chaque personne dans ses dessins. »
Une citation du livre de Georges Duthuit prolonge le voyage : « La longueur du visage s'accentue encore du rostre de la barbiche. Un nez redoutable, acéré, en brise-glace. Hauts, très hauts, les yeux, tout proches de la ligne en surplomb des roides mèches, des yeux fendus au rasoir, aux aguets. »
« On rentre là dans un monde magique, explique Dominique Szymusiak, dans un monde qui n'est pas le monde du beau, qui va au-delà. On a des portraits d'esquimaux tellement purs, tellement simples, tellement joyeux en même temps que Matisse dessine quelques fois d'ailleurs dans des progressions qui sont presque cinématographiques où les masques de ses personnages sourient, rient, parlent, on les sent bouger comme si Matisse avait une caméra. »
C'est en poussant la simplicité du trait que l'artiste va faire ressortir la plus grande émotion. Ces visages d'Inuits au regard doux, fier, coquin ou sauvage, tantôt déformé, tantôt angélique, dégagent une vérité et une profondeur humaine qui n'a rien d'anecdotique dans l'œuvre de Matisse. « C'est au moment où il fait la chapelle de Vence où il rentre dans une mystique très grande, raconte Dominique Szymusiak. On pourrait penser que dessiner des esquimaux fait partie de quelque chose qui pouvait être amusant. Pas du tout, on est devant quelque chose d'aussi sérieux que la chapelle à tout petit espace. »
Les Esquimaux vus par Matisse, un chapitre étonnant et émouvant, aussi bien pour les amateurs que pour les connaisseurs du peintre.