Le 24 janvier 2008 lorsque la Société Générale convoque la presse, c'est la stupeur : un trader a engagé de l'argent bien plus qu'il n'y était autorisé, sur les marchés financiers. Autrement dit, il a joué et il fait perdre presque 5 milliards d'euros à son employeur. Du jamais vu. Cet homme, c'est Jérôme Kerviel, 31 ans à l'époque, accusé par le PDG de la Société générale, d'être « un terroriste ». La suite, on la connaît : il est interrogé, emprisonné pendant un peu plus d'un mois, puis remis en liberté.
Décrit comme un personnage ténébreux, mais comme un trader moyen, Jérôme Kerviel avoue avoir commis des fautes mais la banque était au courant, elle l'a même encouragé, dit-il. Comparant l’affaire à un vol de voiture, il accuse ses supérieurs hiérarchiques : « Ils m’ont ouvert la portière, m’ont tendu les clés et m’ont dit : va faire un tour, ils m’ont incité à le faire. Et un jour, ils se sont dits : ah, on nous a volé la voiture ».
La Société Générale, elle, se défend d’une quelconque responsabilité dans « ce vol de voiture ». Selon Maître Jean Veil, l’avocat de la banque qui s’est constituée partie civile au procès, « personne n’avait imaginé qu’on pouvait se servir de l’argent de la banque pour jouer au casino, comme l’a fait Monsieur Kerviel. Par ailleurs, un certain nombre de collaborateurs ont été trop crédules. Ils connaissaient Monsieur Kerviel, le traitaient comme un ami. Quand il leur mentait, ils avaient tendance à le croire et quand ils ne le croyaient pas, Kerviel leur donnait des faux qu’ils venaient de fabriquer ».
« Lâché par la banque »
Pour Me Veil, « la responsabilité pénale n’appartient qu’au seul Jérôme Kerviel », même s’il reconnaît qu’il y a eu des défaillances dans les systèmes de contrôle de la Société Générale. La banque a d’ailleurs été condamnée en 2008 par la commission bancaire à payer 4 millions d’euros d’amende, et une grande partie de la hiérarchie a dû quitter la Société Générale, jusqu’au PDG, Daniel Bouton, qui a démissionné en avril 2009.
Durant les trois semaines de procès, Jérôme Kerviel tentera d’expliquer la culture qui prévaut dans les salles de marchés des banques où « il n’y a pas d’instructions officielles mais tout est fait pour que vous transgressiez les règles ». « Je faisais mon métier avec passion, travaillant jour et nuit à cogiter sur des nouvelles stratégies de trading pour ramener encore plus d’argent à la banque. Tout le monde était satisfait de mon travail jusqu’au 24 janvier 2008 où, tout d’un coup, je suis devenu le pire ennemi », explique l’ancien trader qui affirme avoir été « lâché par la banque ».
Pour son avocat Me Olivier Metzner, Jérôme Kerviel « n’a pas la prétention de moraliser quoi que soit », mais il veut simplement expliquer le système : « Les banques ne pensent qu’à une chose, c’est de gagner de l’argent, quelque soient les problèmes posés derrière, quelle que soit l’augmentation de la dette grecque, où tous les traders jouent à la baisse et augmentent la dette grecque. C’est le même phénomène partout. Ça a été la crise des subprimes, la crise financière, et les banques participent à tout cela ».
La Société Générale est consciente que ce procès intervient dans un contexte de suspicion envers le secteur financier. Mais l'avocat de la banque Me Jean Veil se dit confiant : « Au fil de l’audience, il sera démontré qu'un seul homme est coupable ». Jérôme Kerviel risque jusqu'à 5 ans de prison et 375 000 euros d'amende. La Société Générale, elle, réclamera 4,9 milliards d'euros, le remboursement de ce qu'elle a perdu. Pour le symbole, car elle sait que Jérôme Kerviel ne pourra jamais débourser une telle somme.