Plan de relance de l'UE: le consensus des 27 peine à masquer quelques réserves

Les 27 pays de l'Union européenne ont arraché ce mardi 21 juillet au matin un accord qualifié « d'historique » sur un plan massif de 750 milliards d'euros pour relancer l'économie de l'Union européenne après la crise du coronavirus. Un accord revu à la baisse face à l'obstination des pays « frugaux ». Entre soulagement et déception, tour d'horizon des réactions des pays européens après la signature de cet accord.

Le fonds de relance de l'Union européenne de 750 milliards d'euros sera financé par un emprunt réalisé par la Commission européenne au nom du bloc, un dispositif inédit. Sur ce volume total, 390 milliards d'euros seront redistribués aux États-membres via des subventions, et 360 milliards via des prêts.

En Allemagne, Angela Merkel soulagée

La chancelière, visiblement fatiguée après quatre jours de négociations marathon, s’est montrée soulagée par l’accord trouvé à Bruxelles, rapporte notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut.

Des événements exceptionnels, comme la pandémie actuelle, expliquent ces solutions exceptionnelles. « Cela n’a pas été facile, mais à l’arrivée nous sommes parvenus à un accord », a salué son ministre des Affaires étrangères, le social-démocrate Heiko Maas.

« L’Union européenne montre qu’elle est capable, même dans la pire crise économique de son histoire, d’agir en commun et de façon solidaire. Cet accord constitue une base solide pour permettre aux citoyens européens de surmonter la crise actuelle », a-t-il ajouté.

Angela Merkel, dont le pays dirige jusqu’à fin décembre l’Union européenne, voulait parvenir à un accord lors de ce sommet, pour pouvoir ensuite se consacrer à d’autres thèmes, et ils sont nombreux, durant la présidence allemande.

Berlin, avec son rôle actuel, a dû jouer un rôle de modérateur, d’abord dans les négociations, sans mettre ses positions propres trop en avant. Le président français Emmanuel Macron a salué, lors de sa conférence de presse commune avec Angela Merkel, le fait que l’Allemagne, contributaire nette du budget européen n’ait pas exigé, comme d’autres, un rabais supplémentaire. La chancelière a, en revanche, obtenu quelques centaines de millions de plus pour l’est de l’Allemagne.

Prudence en Grèce, secouée par dix ans de crise économique

Au total, d’ici à 2023, la Grèce devrait percevoir un peu plus de 70 milliards d’euros issus de ce fonds de soutien. Pour le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, qui a affirmé qu’Athènes dépenserait cet argent avec parcimonie, il s’agit à la fois d’une « réponse très ambitieuse » et d’un « succès national ». Dans la capitale grecque, les habitants secoués par dix années de crise financière, restent néanmoins prudents.

« C’est la première fois que notre pays a accès à des outils financiers aussi ambitieux. Nous rentrons à Athènes avec une enveloppe totale qui dépasse les 70 milliards d’euros. Cette somme, d’une importance sans précédent pour notre pays, nous allons la gérer avec prudence et responsabilité », a salué le Premier ministre Kyriakos Mistotakis

Kyriakos Mitsotakis le sait, la Grèce a notamment besoin de soutien dans le domaine du tourisme. Un secteur qui représente jusqu’à 25% du PIB et qui est lourdement impacté par la baisse de fréquentation liée à la pandémie. La solidarité financière européenne devrait donc soulager en partie le pays, rapporte notre correspondant à Athènes, Joël Bronner.

« Les pays européens doivent être attentifs aussi bien au nord qu’au sud du continent et l’Europe doit prendre soin de l’ensemble des populations. Dans le cas contraire, ce sera la fin de l’Union européenne », se réjouit Kostas Lionas. Comme ce buraliste du centre d’Athènes, de nombreux Grecs se réjouissent de l’aide financière annoncée, mais restent prudents, en attendant de constater les effets concrets de ce nouvel accord européen.

En Espagne, l'heure est à la satisfaction

L’Espagne va recevoir 140 milliards d’euros, dont 72 milliards sous la forme d’aide et le reste sous la forme de prêts. Globalement, les principaux acteurs du panorama espagnol se montrent plutôt satisfaits, avec des nuances en fonction des acteurs en question, rapporte notre correspondant à Madrid, François Musseau.

« C’est un pas de géant dans la construction européenne », a déclaré le chef du gouvernement socialiste Pedro Sanchez. Il salue le résultat final et l’importance de l’enveloppe concédée l’Espagne.

La somme qui sera versée au cours des semaines et des mois à venir va permettre à l’économie nationale de respirer, alors que des centaines de milliers d’entreprises sont à l’arrêt et que le tourisme a repris timidement. L'autre motif de satisfaction pour les socialistes concerne l'argent européen. Il va très certainement lui permettre de boucler son budget annuel, avec son partenaire de la coalition, la gauche radicale de Podemos qui parle aussi « d’un accord historique ».

Le chef de l’opposition conservatrice Pablo Casado se dit « satisfait », tout comme le patronat. Seuls les syndicats et plusieurs formations parlementaires se montrent plus prudents et réservés. Et rappellent que l’octroi de ces prêts et de ces aides va s’accompagner d’une forte surveillance sur l’Espagne et ses finances, ce qui à leurs yeux veut dire que le pays devra en contrepartie respecter une grande rigueur budgétaire, avec tous les sacrifices que cela suppose.

Les pays frugaux au centre des critiques

Face à la réticence des pays frugaux comme les Pays-Bas, les ambitions initiales ont été revues à la baisse. « Le résultat, c’est qu’on a réellement mutilé ce plan. On l’a amputé très sérieusement, puisque la seule partie qui compte vraiment, c’est-à-dire la partie qui sera comportée de dépenses budgétaires, passe de 500 milliards à 390. Et surtout, toute la partie commune, c’est-à-dire celle qui abonderait le budget européen, a été réduite à quasi-zéro », regrette le co-leader des Verts au Parlement européen, le Belge Philippe Lamberts.

« Pour certains, et ceux qui s’appellent les frugaux, que j’appellerai plus volontiers des radins, l'UE est un tiroir-caisse dans lequel on doit verser toujours trop d’argent. Et pour d’autres, je pense aux libéraux comme la Hongrie et la Pologne, c’est un tiroir-caisse dans lequel on doit pouvoir se servir sans aucune contrainte, alors que le projet européen c’est autre chose qu’un tiroir-caisse », ajoute-t-il.

Les pays frugaux laissent un goût amer aux autres pays européens après ces négociations. « Les pays frugaux ont l’impression que, lorsque l’on parle du budget européen, ils contribuent plus qu’ils ne bénéficient. C’est faux ! Parce que, derrière ce budget européen, il y a l’intégration européenne. Il y a ce marché unique. Et de ce marché unique, certains bénéficient plus que d’autres », note l’eurodéputée roumaine Clotilde Armand, membre de la commission du budget au Parlement européen.

Les Pays-Bas, critiques envers Mark Rutte

Le chef de file de ces pays frugaux a été pendant quatre jours à Bruxelles le premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte. Les Néerlandais soutenaient l’idée de demander des garanties en échange de la solidarité.

Mark Rutte c’était « Monsieur non » et il a quand même dit oui pour un endettement européen commun. Ce sont l’essentiel des critiques entendues aux Pays-Bas, rapporte notre correspondant à Bruxelles, Pierre Benazet.

Le populiste Geert Wilders affirme que des milliards d’Euros néerlandais vont être offerts en cadeau aux pays du sud. « Mais les intérêts des Pays-Bas sont préservés », affirme le Premier ministre Mark Rutte. Il estime avoir obtenu des garanties pour contrôler la destination des subventions et prêts du fonds de relance, grâce au système surnommé freinage d’urgence.

« Ce frein à main va vraiment beaucoup aider parce que si un pays a de véritables doutes sur l’utilisation à bon escient des fonds par un autre pays, s’il pense que les réformes nécessaires n’y ont pas été faites, alors ça lui permet de tirer sur ce frein à main et les paiements s’arrêtent. Et là, on peut consulter et faire appliquer ce qu’il faut. La menace de ce freinage d’urgence va renforcer nos positions », a tenu à rassurer Mark Rutte.

Le parlement néerlandais débattra ce jeudi de l’accord européen et le rabais annuel de près de deux milliards d’Euros concédé aux Pays-Bas devrait y figurer en bonne place, dans un pays où ce matin le journal de référence écrivait « il ne faut pas confondre besoin de solidarité européenne et charité ».

►À lire: Europe : pourquoi les frugaux font de la résistance

Autriche souligne « un bon résultat »

Les pays « frugaux » dont l’Autriche du chancelier Sebastian Kurz affirme avoir obtenu satisfaction sur plusieurs de ses revendications, rapporte notre corespondante à Vienne, Isaure Hiace.

Après quatre jours de discussions intenses, Sebastian Kurz s’est dit fatigué ce mardi matin mais très satisfait du contenu de cet accord âprement négocié. Satisfait parce que la part des subventions sur les 750 milliards d’euros du plan de relance a été réduite de 500 à 390 milliards, satisfait aussi car le rabais de l’Autriche au budget européen a fortement augmenté.

« Nous avons obtenu un bon résultat pour l'Autriche. Notre rabais est passé de 137 millions d'euros par an à 565 millions d'euros, soit plus du triple ! », a-t-il indiqué.

Le chancelier conservateur se dit également heureux d’avoir trouvé un groupe avec lequel il peut travailler, celui des « frugaux » qui rassemble, outre l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark et qui a été soutenu par la Finlande lors de ce sommet.

« La coopération des frugaux ne s'arrête pas aujourd'hui, elle va se poursuivre et c'est très bien. C'est évidemment important pour la question des rapports de force au sein de l'Union européenne. Je pense que cela fait du bien à l'Union mais c'est avant tout important pour l'Autriche ».

À Vienne, le qualificatif de « radins », né des âpres négociations menées pour réduire au maximum les subventions, n'est pas justifié aux yeux de tous. « L'Autriche est membre de l'Union européenne depuis 1995 et a été, depuis le début, un contributeur net. C'est donc un peu injuste selon moi de qualifier ces pays de radins. Il faut respecter les différences de points de vue », estime Helmut Weichsel, un habitant de la capitale au micro d'Isaure Hiace.

Sebastian Kurz a reconnu qu’il y avait eu quelques tensions lors de ce sommet, avec notamment le président Français Emmanuel Macron mais c’est, dit-il « le jeu des négociations ».

► À écouter : Un accord historique des 27 pour financer la relance post-Covid

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