Le nouveau visage de l'Union européenne se dessine chaque jour un peu plus. Mercredi, le Parlement de Strasbourg s'est choisi comme président un social-démocrate italien, ancien journaliste et grand défenseur des libertés et de la démocratie. David Sassoli, 63 ans, va occuper le « perchoir » pour deux ans et demi. L'eurodéputé a été élu au second tour à la majorité absolue avec 345 voix.
Bien connu pour ses talents de présentateur sur les chaînes de la Rai, et sa proximité avec le monde catholique, David Sassoli est totalement engagé en politique depuis 2009, année de son arrivée à Strasbourg. Dix ans après, voici le « beau gosse de la gauche », comme on le surnommait du temps de sa jeunesse au PD, propulsé à la tête du Parlement.
David Sassoli fait la Une de tous les grands quotidiens de son pays ce jeudi. « Le nouveau président incarne les valeurs des pères fondateurs de l’Europe », relève le quotidien La Repubblica, qui met en exergue sa priorité numéro un : réformer le traité de Dublin, pour qu’aucun pays européen ne soit plus seul face aux questions migratoires, comme ce fut le cas de la Grèce ou de l'Italie.
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Mais l'homme fort du gouvernement de Rome, le leader de la Ligue d'extrême droite, Matteo Salvini, a de quoi fulminer. Le Corriere della Sera souligne que la candidature du social-démocrate a divisé les partis ; le Mouvement 5 étoiles a laissé le libre choix à ses europarlementaires tandis que la Ligue, premier parti du pays, a voté contre. D’où ce titre de La Stampa : « La colère de Salvini ».
La Stampa raconte que le ministre italien de l'Intérieur redoute les positions de David Sassoli en faveur des ONG qui secourent les migrants en Méditerranée. Il Giornale, quotidien de droite, le croque d’ailleurs comme l’ennemi juré des nationalistes, dont « le profil ne respecte pas le choix des électeurs italiens », écrit-il, comme le rapporte notre correspondante à Rome, Anne Le Nir.
« Un barrage aux populismes »
L'ancien journaliste succède au perchoir à son compatriote Antonio Tajani (Parti populaire européen, droite). Mais l'Italie va néanmoins perdre deux postes importants. Celui de Federica Mogherini, en charge de la diplomatie européenne, remplacée par le socialiste espagnol Josep Borell, et celui de Mario Draghi, à la tête de la Banque centrale européenne, remplacé par Christine Lagarde.
Pour le politologue italien Guiseppe Bettoni, ce n'est pas l'Italie qui perd du terrain, mais bien son gouvernement populiste Ligue-M5S. « Il est vrai que l’Italie a été un peu écartée, mais le choix du Parlement européen, si on regarde les personnalités élues, a surtout été fondamentalement de faire barrage aux populismes comme celui de Matteo Salvini », analyse-t-il.
Selon le politologue, l'Italie a perdu du poids, oui, mais « autant que les tous gouvernements populistes européens ». « Mario Draghi, conclut-il, je pense que comme Christine Lagarde, c'était un choix d’abord de compétence et de ligne économique et politique. Il était Italien, mais c’était un homme hors norme, d’un patrimoine international comme l'est Christine Lagarde, pour ainsi dire. »
La présidence du Parlement européen est l'un des cinq postes clés du fonctionnement de l'UE, avec celles de la Commission, du Conseil, de la Banque centrale et le poste de haut représentant aux Affaires étrangères et à la Sécurité. Or, le fait que M. Sassoli ait été choisi par les eurodéputés n'est pas anodin, car ce dernier n'avait pas la préférence des chefs d'État et de gouvernement.
Selon notre envoyée spéciale à Strasbourg, Anissa El Jabri, il faut y voir un geste de mauvaise humeur des sociaux-démocrates européens, qui figurent parmi les députés peu convaincus par les choix exprimés par le Conseil. Une élection rondement menée, en deux tours seulement - le Toscan n'ayant pas fait non plus le plein des voix au premier tour, puisqu'une centaine de bulletins (secrets) de droite et de gauche manquaient à l'appel.
« Est-ce que les Verts vont la soutenir ? »
Consciente des mécontentements, Ursula von der Leyen, jusqu'ici ministre allemande de la Défense et désignée mardi par les Vingt-Huit future présidente de la Commission, s'est rendue au Parlement mercredi en opération présentation-séduction. L'occasion pour elle d'adresser un éloge appuyé à son compatriote du PPE Manfred Weber, qui rêvait de cette présidence et a dû y renoncer.
Cette proche d'Angela Merkel, une politique aguerrie, ministre sans interruption pendant les quatorze dernières années, savait que la colère n'était pas retombée chez les sociaux-démocrates. Elle s'est donc plutôt rendue auprès des siens, la CDU de la chancelière allemande, puis à une réunion du PPE, histoire de faire des gestes et de donner des gages en vue de son élection à la Commission de Bruxelles.
Personne n'imagine vraiment les grands partis rejeter la candidature de la première femme désignée à ce poste, et ainsi prendre la responsabilité de déclencher une crise institutionnelle. Personne ne se souvient non plus de la faible majorité de Jean-Claude Juncker lors de son passage au Parlement il y a cinq ans - 40 voix d'avance à peine. Mais la désormais ex-ministre poursuit un objectif.
Critiquée dans son pays et dans son camp, face à un Parlement émietté comme jamais, elle cherche un socle de soutiens solide pour sécuriser ses premiers pas. « L'élection du président du Parlement est le résultat d’un accord entre groupes, puisque M. Sassoli a été soutenu apparemment et par le PPE, et par les libéraux, mais pas par les Verts, dont la candidate s’est maintenue aux deux tours. Mais c’est une autre élection que celle du président de la Commission », prévient Christine Verger, de l'Institut Jacques Delors.
Et de rappeler que « Mme von der Leyen est plutôt une surprise par rapport à ce qui était initialement envisagé ». « Il faut voir comment elle va se présenter devant le Parlement européen, avec quel programme... Est-ce que les Verts vont la soutenir ? Est-ce que ceux qui n’ont pas l’air très satisfaits du "package" général, vont poser des conditions et lesquelles ? »
Rendez-vous dans moins de deux semaines pour la confirmation du futur visage de la Commission de Bruxelles. « Pour ce qui est du Parlement, c’est toujours un peu plus facile, parce que les groupes se mettent d’accord en amont, il n’a fallu que deux tours. Mais l’élection du président de la Commission, à mon avis, ça va être un peu plus sportif », conclut Christine Verger.