On sent comme une brise de contestation à Istanbul et cette fois, c'est chez les conservateurs qu'elle souffle, rapporte notre envoyée spéciale à Istanbul, Anissa el-Jabri. Lassitude de l'autoritarisme, de la polarisation politique entretenue par le pouvoir.
D'où le profil bas adopté par le président Recep Tayyip Erdogan pendant la campagne, car cette élection est un moyen de lui dire « stop ». « Son entourage lui a conseillé fortement de céder sa place au candidat lui-même », analyse Ali Bayramoglu, professeur de sciences politiques à Istanbul.
Un discours clivant
« Erdogan adore parler, adore avoir un rapport direct avec le peuple et (sa) plus grande difficulté, c’était son discours très nationaliste, un discours populiste qui séparait la société en deux. Une partie de la société dite légale et légitime pour lui, parce qu’ils pensent comme lui et d’autres personnes qui représentent quand même la moitié de la Turquie, étaient souvent définies comme la partie illégitime. Ce discours n’a pas marché, parce qu’il a perdu des voix à peu près partout. Le taux d’abstentionnisme était très élevé chez ces électeurs. Le mécontentement, déjà, existe. Et une autre vague monte : la Turquie est tellement polarisée que la demande principale, c’est une politique moins conflictuelle ».
C'est ce qu'a expliqué cet électeur d'un bureau de vote du quartier de Besiktas, dans le centre d'Istanbul à notre correspondante, Anne Andlauer. Hüseyin, traditionnel électeur de l'AKP n'a pas voté pour le parti présidentiel cette fois. « L’attachement que je ressens pour Erdogan ne va pas s’effacer en une seule élection. Mais je n’ai pas du tout aimé sa campagne... Ses propos très durs à l’égard des Kurdes, des électeurs du parti islamiste, du CHP, de tous ceux qui ne votent pas pour lui. En plus, je pense qu’Ekrem Imamoglu a subi une injustice. Ma conscience n’est pas en paix avec cette nouvelle élection, et je suis fatigué des scrutins à répétition. »
On se souvient de ce scrutin du 31 mars, lorsque des militants de l'opposition dormaient à côté des urnes pour les protéger, disaient-ils. Aussi ce dimanche, il a un grand déploiement d’observateurs dans tous les bureaux de vote. Avocats, étudiants, anonymes… formés par le principal parti d’opposition. Et les bureaux de vote sont présidés – c’est une réforme d’Erdogan –, par des fonctionnaires de l’État.
Les municipalités : une manne financière
Pour les 10 millions d'électeurs stambouliotes, ce vote a clairement des allures de référendum pour ou contre le président. Une défaite de l'AKP sonnerait comme un camouflet pour Erdogan. Une gifle même si le retard de plusieurs points enregistré dans les sondages se confirmait dans les urnes. Tous s'interrogent : l'homme fort du pays pourrait vraiment laisser Istanbul, son fief, sa ressource financière lui échapper ?
Pour Ali Bayramoglu, en Turquie, « le charisme est souvent lié à la réussite, à la force. Jusqu’à aujourd’hui, Erdogan a gagné toutes les élections auxquelles il a participé. Il donne l’impression qu’il gagnera toujours. Il veut reprendre Istanbul. Il ne veut pas donner cette image d’être un homme qui n’a pas réussi cette fois-ci parce cela peut influencer son électorat. Les grandes municipalités en Turquie utilisent des moyens financiers assez importants ; ce sont des centres d’administration parallèles, par rapport à Ankara. Et à partir des ressources de ces municipalités, c’est vrai qu’il a un projet social, moral, c’est d’initier une société de croyants conservateurs ». Le président turc a besoin de cet argent pour mener à bien son projet, conclut Ali Bayramoglu.