Aux côtés des traditionnelles mentions « masculin » et « féminin » présentes sur les documents officiels, une troisième devrait apparaître en Allemagne d’ici la fin de l’année 2018. Dans un jugement rendu le 8 novembre, la Cour constitutionnelle a en effet invité les législateurs à introduire une mention telle que « inter », « divers » ou toute autre « désignation positive du sexe » sur les registres de naissance, et par extension sur tous les documents officiels d'identité. Dans l'intervalle, l'administration allemande ne pourra pas contraindre à choisir de s'identifier en tant que masculin ou féminin les personnes intersexuées.
Proposer une alternative à la binarité du genre
Cette décision s’inscrit dans une logique de reconnaissance des personnes nées avec des organes génitaux ou des chromosomes qui ne correspondent pas à la traditionnelle binarité homme/femme. Selon des estimations du Conseil d'éthique, 80 000 personnes intersexuées vivent aujourd'hui en Allemagne. Or lorsque les organes génitaux sont difficiles à identifier à la naissance, les nouveau-nés subissent souvent des opérations jugées « mutilantes » visant à leur attribuer un sexe qui ne correspond pas nécessairement au genre auquel ils s’identifient en grandissant.
Si l’Allemagne a introduit en mai 2013 la possibilité de ne pas renseigner le champ relatif au sexe en le laissant vide, elle n’avait alors pas créé un « troisième genre » au sein de l’état civil. Selon l'Organisation internationale des intersexes (OII), elle avait au contraire établi une catégorie « hors sexe » qui risquait d’accentuer la stigmatisation des personnes intersexuées. La Cour constitutionnelle a donc décidé d’aller plus loin avec la création d’une mention à part entière.
Un long combat pour la reconnaissance des droits
Ce jugement découle d’un combat juridique mené en Allemagne par une personne intersexe née en 1989 et enregistrée avec le sexe féminin, qui a reçu l’aide de l'association allemande de soutien au troisième sexe « Dritte Option ». En août 2016, cette personne avait demandé à la Cour fédérale de justice, instance inférieure, de reconnaître l'existence juridique d'un troisième sexe. Celle-ci avait refusé, jugeant que ce ne serait « pas légal ». La plus haute juridiction, la Cour constitutionnelle, a donc été saisie, et a reçu des analyses chromosomiques mettant en évidence que la personne plaignante n'était ni un homme ni une femme. Les juges suprêmes ont alors estimé dans leur jugement que la loi existante était « discriminatoire », en soulignant également « l'importance extrême de la classification (sexuelle) pour l'identité individuelle ».
L'association Dritte Option parle d’une « petite révolution ». « Nous sommes stupéfaits et sans voix », peut-on lire sur Twitter.
La Haute Autorité fédérale de lutte contre les discriminations a elle aussi salué une décision « historique » tandis que l'Institut allemand des droits de l'homme a exigé d'aller plus loin avec une « loi sur la diversité sexuelle ». Le ministère de l'Intérieur, compétent sur ce dossier, a assuré que le gouvernement allemand était « tout à fait disposé » à appliquer le jugement de la Cour en préparant un projet de loi en ce sens. Si la chambre des députés valide in fine la demande des juges constitutionnels (ce qui est généralement le cas), l'Allemagne sera le premier pays en Europe à reconnaître officiellement un troisième genre.
Ailleurs dans le monde
En France, une personne intersexe avait elle aussi demandé l'inscription sur son état civil de la mention « sexe neutre ». Dans un arrêt rendu en mai 2017, la Cour de cassation avait rejeté cette demande, mais les deux avocats du plaignant ont décidé de porter un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Dans le monde, l’Allemagne n'est pas le premier pays à proposer une alternative à la binarité du genre homme/femme. Le Népal et le Canada autorisent leurs ressortissants à inscrire un X dans la case « sexe » du passeport. La justice indienne a également reconnu en 2014 l’existence d’un « troisième sexe ». La même année, la plus haute juridiction d’Australie, la haute Cour, reconnaissait la possibilité d'inscrire « un sexe non spécifique » à l'état civil. Aux Etats-Unis, la ville de New York a délivré en 2016 le premier certificat de naissance portant la mention « intersexe ».
L'Allemagne pourrait ouvrir la porte à la reconnaissance du droit à s'autodéterminer des personnes intersexuées en Europe. Selon les Nations Unies, elles représentent entre 0,05% et 1,7% de la population mondiale.