De notre envoyée spéciale à Londres,
Au lieu de les faciliter, les législatives britanniques pourraient finalement compliquer les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Une question se pose à la veille du scrutin : pourquoi la Première ministre a-t-elle organisé des élections anticipées ?
Le Brexit dans toutes les têtes
A la tête d’un parti divisé entre pro et anti-européens, Theresa May veut renforcer sa position avant d’entamer des négociations avec l’UE. Pour Sophie Loussouarn, spécialiste de la Grande-Bretagne et maître de conférences à l’université d’Amiens, l’enjeu de ces législatives, c’est avant tout le Brexit :
« Theresa May a souhaité organiser des élections anticipées avant d'entamer les négociations sur le Brexit pour obtenir une légitimité populaire, car elle est devenue Premier ministre le 13 juillet 2016 sans avoir été élue à la tête du Parti conservateur. Pour elle, obtenir une plus grande majorité à la Chambre des communes alors qu'elle n'a que 17 sièges d'avance, est un enjeu considérable, pour avoir les coudées franches dans les négociations. »
Et le principal risque du Brexit, c’est la dislocation du Royaume-Uni. Selon Alistair Cole, professeur de sciences politiques à l’université de Cardiff, c'est précisément ce risque que Theresa May voulait écarter en organisant ces élections anticipées :
« L'Ecosse a bien entendu voté contre le Brexit et le Parti national écossais a 56 des 59 sièges de députés. Mais on va voir si Theresa May et les conservateurs arrivent à réduire leur avance. Si les nationalistes écossais restent à 56 députés, c'est un grand problème pour l'avenir du Royaume-Uni. »
Le « coup de poker » de May
Theresa May a choisi de personnaliser ces élections en pensant qu’un bras de fer avec son principal opposant, le leader du Parti travailliste Jeremy Corbyn, contesté au sein de son propre parti, serait une bonne stratégie, explique Sophie Loussouarn, qui parle de « coup de poker » :
« Elle était en position de force. Les sondages montrent que l'écart entre les travaillistes et les conservateurs se resserre, mais je vois mal une victoire des travaillistes. Jeremy Corbyn, le chef du parti, manque de crédibilité, même auprès des travaillistes qui pensent que sa politique de défense ne permet pas de lutter contre le terrorisme et de protéger le Royaume-Uni contre l'Etat islamique. »
« Beaucoup plus compliqué que ça »
Theresa May a dit à plusieurs reprises qu’elle n’organiserait pas d’élections anticipées mais elle l’a fait. Elle a annoncé également pendant la campagne des mesures d’austérité qui frappaient directement les retraités britanniques - la base de son électorat - pour aussitôt reculer. Cela a écorné son image de négociatrice inflexible et rigoureuse.
Pendant ce temps, Jeremy Corbyn publiait son « manifesto », le programme du Parti travailliste qui recentrait le débat sur des questions de société. « Theresa May a pensé gagner une majorité facilement. Il s'avère que c'est beaucoup plus compliqué que ça », estime Alistair Cole.
« Il ne faut pas oublier qu'une élection, c'est aussi la santé, c'est l'éducation, c'est la défense... Et après ce terrible attentat à Manchester, c'est la sécurité, c'est la police... Donc, tous ces sujets-là sont importants pour une campagne électorale », ajoute le professeur de sciences politiques.
A la veille du scrutin, la grande inconnue reste l'impact de l'attentat de Manchester et des attaques de London Bridge sur le scrutin. Theresa May pourrait se retrouver affaiblie, alors qu’elle doit mener la négociation la plus difficile de l’histoire de son pays depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
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