Avec notre correspondante à Moscou, Muriel Pomponne
Alexeï Oulioukaïev aurait été pris « la main dans le sac », selon l'expression de la porte-parole du comité d'enquête, l'instance chargée des affaires sensibles et qui a procédé à l'arrestation, à l'issue d'une enquête de plus d'un an menée par le FSB.
L’arrestation a eu lieu en pleine nuit, ce qui rappelle d’anciennes méthodes. Mais elle n’a pas été filmée, comme cela a été le cas récemment lorsque des gouverneurs de régions ont été interpellés pour corruption. Un reste de dignité pour celui qui était ministre de l’Economie depuis 2013 et avait eu d’importantes fonctions à la Banque centrale.
Ce mardi 15 novembre au matin, le porte-parole du Kremlin a fait savoir que le président Poutine avait été mis au courant dès le début de l'enquête contre son ministre. Or, il aurait été suivi et écouté par le FSB depuis plusieurs mois.
Une vente controversée
Le ministre de l'Economie est accusé d'extorsion et de menace à l'encontre de représentants du géant pétrolier Rosneft. Alexeï Oulioukaïev aurait exigé un pot-de-vin de deux millions de dollars, en échange d'un avis positif sur le rachat de Bashneft, société pétrolière régionale acquise par l’oligarque Vladimir Evtouchenkov en 2009 avant que l'Etat la saisisse en 2014, par le géant du pétrole Rosneft. Le sixième producteur russe de pétrole a en effet été vendu par l'Etat en octobre dernier au groupe Rosneft, pour 5,2 milliards de dollars.
C'est le ministre de l'Economie, Alexeï Oulioukaïev, qui avait supervisé la vente de 50,07% du capital de Bashneft à Rosneft. Le ministre n’était pas favorable au rachat de la société par Rosneft, le numéro un du secteur en Russie et détenu en majorité par l'Etat russe. Mais Rosneft a des arguments, dont le moindre n’est pas que son dirigeant, Igor Setchine, est très proche de Vladimir Poutine.
Ouloukaïev a-t-il exigé des compensations pour se laisser convaincre ? Les enquêteurs affirment qu’ils en ont la preuve. Il s'agissait, quoi qu'il en soit, de la plus grosse cession d'actifs réalisée cette année par le gouvernement russe. Cette affaire va-t-elle remettre en cause la transaction ? Actuellement, tous les acteurs affirment que la privatisation n'est pas menacée.
Une manoeuvre politique ?
Mais les incohérences dans cette affaire en étonnent plus d'un. Le ministre aurait réclamé un pot-de-vin après la conclusion de la transaction. Et il n'aurait réclamé que 2 millions de dollars pour une transaction supérieure à 4,5 milliards de dollars. Pour Konstantin Simonov, directeur du fonds de sécurité énergétique, ce n'est pas le ministre qui était visé, mais le groupe des économistes libéraux au sein du gouvernement. « Je suis absolument convaincu que le problème, ce n'est pas Oulioukaiev, mais c'est la figure la plus vulnérable dans le bloc des libéraux qui a été choisie, et une figure active, affirme Konstantin Simonov. Bien sûr l'histoire est sans précédent. C'est le ministre en fonction qui a été arrêté. Du jamais-vu dans la pratique russe. »
Pour la plupart des analystes, le vainqueur dans cette affaire est le patron de Rosneft, Igor Setchine, grand représentant du camp antilibéral. Humiliation suprême, Oulioukaiev a été arrêté dans les locaux de Rosneft, et l'enquête a été menée par le FSB.
Pour l'analyste Andrei Kolesnikov, le calendrier a aussi son importance, car cette arrestation a lieu après les élections parlementaires et avant la présidentielle. La lutte contre la corruption est un thème populaire, qui permet au pouvoir de se débarrasser des partisans des réformes, comme le prouvent certaines arrestations précédentes. Le gourou des conservateurs nationalistes, Alexandre Douguine, s'est d'ailleurs réjoui de cette arrestation.