Avec notre correspondant à Istanbul, Alexandre Billette
« Aujourd'hui est une journée honteuse pour la Turquie et la démocratie turque », a déclaré Sevgi Akarçeşme, la rédactrice en chef de la version anglaise de Zaman.
Les employés du quotidien hostile au président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan se sont rendus malgré tout au travail samedi 5 mars, dans une ambiance « irréelle » selon un journaliste. En cause : ils ont été escortés par des policiers et, dans les bureaux, il n’y avait aucun accès à Internet.
Au pied de l’immeuble, 500 personnes étaient rassemblées pour protester contre la prise de contrôle du journal, mais les policiers ont rapidement utilisé des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des balles de plastique pour disperser la foule.
« Réduire au silence »
« Le gouvernement s'est emparé de notre groupe de presse et tente de réduire au silence toute voix discordante. Ceci est malheureusement devenu trop fréquent et trop habituel », a déclaré Sevgi Akarçeşme, devant les manifestants.
La rédactrice en chef a poursuivi : « La Constitution a été suspendue aujourd'hui. Mais comme vous le savez tous, nous sommes dirigés par un régime qui n'a pas de respect pour la Constitution, l'Etat de droit ou la démocratie. »
Un compte Twitter effacé
Désormais, le site internet de Zaman ne fonctionne plus et le compte Twitter a été effacé. L'édition de dimanche 6 mars ne sera probablement pas publiée.
Le groupe Zaman est considéré comme proche de l'imam Fethullah Gülen, ancien allié devenu l'ennemi numéro un du président Erdogan. En cause : un retentissant scandale de corruption a éclaboussé le sommet de l'Etat fin 2013.
■ La communauté internationale appelle au respect de la liberté de la presse
La communauté internationale s'est dite profondément inquiète pour la liberté de la presse dans le pays. « La Turquie, en tant que pays candidat, doit respecter et promouvoir des normes et pratiques démocratiques élevées, dont la liberté des médias », a réagi le service diplomatique de l'Union européenne.
De son côté, le président du Parlement européen, Martin Schulz, a promis d'évoquer ce « nouveau coup porté à la liberté de la presse en Turquie », lors de sa rencontre lundi avec le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
En revanche, pas d'intervention publique d'un dirigeant politique comme Jean-Claude Juncker, Federica Mogherini ou, surtout, Donald Tusk. A quelques jours du sommet UE-Turquie de lundi, la diplomatie européenne préfère probablement se montrer prudente avant de se lancer dans des récriminations de principe.
Outre-Atlantique, Washington a regretté « la dernière d'une série d'inquiétantes actions judiciaires et policières » du gouvernement turc contre les médias « et ceux qui le critiquent ».
Le ministre des Affaires étrangères de Moscou a souhaité l'ouverture d'une enquête internationale : « Nous espérons que nos partenaires occidentaux mettront de côté leurs craintes de déplaire à Ankara. »