Pour la deuxième fois depuis la fin de ses déboires judiciaires, DSK a pris la plume pour évoquer la crise grecque, dans un texte communiqué via son nouveau compte Twitter samedi 18 juillet. Après avoir « conjuré » ses « amis et anciens collègues » du FMI et de l'UE de revoir leur logiciel « inepte » pour faire face au particularisme de la situation économique grecque - il plaide personnellement pour un allégement de la dette -, c'est cette fois-ci aux Allemands que l'ancien ministre français a décidé de s'adresser. Et ce, sur la base de l'accord trouvé lundi dernier entre Athènes et ses créanciers pour un troisième plan d'aide de plus de 80 milliards d'euros sur trois ans contre des réformes massives aux antipodes des promesses de Syriza.
Dominique Strauss-Kahn ne se prononce pas sur le contenu de l'accord dans le détail. Il le juge « insuffisant mais heureux », en ce qu'il évite au moins la sortie de la Grèce de la zone euro. Il salue au passage le rôle joué par le couple Merkel-Hollande au sein de l'Eurogroupe. Ce qu'il dénonce en revanche, sans pour autant faire montre d'une quelconque « Syrizamania », ce sont les « conditions de l'accord », qu'il juge « proprement effrayantes pour qui croit encore en l'avenir de l'Europe ». « Ce qui s'est passé pendant le week-end dernier, lâche DSK, est pour moi fondamentalement néfaste, presque mortifère. »
Une ode au compromis et à la démocratie face au diktat
« Que l’amateurisme du gouvernement grec et la relative inaction de ses prédécesseurs aient dépassé les bornes, je le mesure. Que la coalition des créanciers conduite par les Allemands, soit excédée par la situation ainsi créée, je le comprends. Mais ces dirigeants politiques me semblaient jusqu’alors trop avertis pour vouloir saisir l’occasion d’une victoire idéologique sur un gouvernement d’extrême-gauche au prix d’une fragmentation de l’Union. (...) A compter nos milliards plutôt qu’à les utiliser pour construire, à refuser d’accepter une perte - pourtant évidente - en repoussant toujours un engagement sur la réduction de la dette, à préférer humilier un peuple parce qu’il est incapable de se réformer, (...) nous tournons le dos à ce que doit être l’Europe (...) », défend DSK.
Au fond, ce qui gêne l'ancien directeur général du FMI, c'est le « diktat » imposé à Athènes. Ce n'est pas seulement en imposant des règles de saine gestion, auxquelles il se dit néanmoins « attaché », qu'on sauve l'Europe, plaide-t-il. « Nul plus que moi n’est attaché au respect des grands équilibres et c’est ce qui nous a toujours rapprochés. Mais il faut les faire respecter dans la démocratie et le dialogue, par la raison, pas par la force. Ne me dites pas que s’il en est ainsi et que si certains ne veulent rien entendre, vous continuerez votre route sans eux ! Jamais le repli sur le Nord ne suffira à vous sauver. »
Strauss-Kahn défend une vision ni trop courte, ni trop longue
L'ancien ministre français s'oppose à ceux dont la « vue trop courte » les empêche de voir le bienfondé de la construction européenne (les nationalistes), et à ceux dont la « vue trop longue » crée le risque d'une « vassalisation » de l'Union européenne par les Etats-Unis : « Une alliance de quelques pays européens, même emmenée par le plus puissant d’entre eux, sera peu capable d’affronter seule la pression russe et sera vassalisée par notre allié et ami américain à une échéance qui n’est peut être pas si lointaine. Il y a ceux qui ont déjà choisi cette voie », dénonce Dominique Strauss-Kahn.
Entre ces deux catégories, il choisit de s'adresser à ceux qui, notamment en Allemagne, « croient en l’Europe que nous avons voulu ensemble naguère ; à ceux qui pensent qu’une culture européenne existe. » Mais selon M. Strauss-Kahn, les Allemands qui seraient tentés par un cavalier seul ne doivent pas s'y tromper : ils ont besoin de l'Europe pour survivre. « Un fonctionnement de la zone euro dans lequel vous, mes amis allemands, suivis par quelques pays baltiques et nordiques, imposeriez votre loi sera inacceptable pour tous les autres », considère-t-il.
DSK relance la perspective d'une union de la Méditerranée
Délivrant sa vision d'un monde en pleine mutation vers un multipolarisme durable, l'ancien favori de la présidentielle française de 2012 appelle le couple franco-allemand à construire une vision commune de ce que doit être l'euro, et plus généralement l'Europe. « L’Allemagne est prisonnière d’un récit trompeur et incohérent sur le fonctionnement de l’union monétaire largement partagé par sa classe politique et sa population. En France, à l’inverse, la paresse, et le souverainisme larvé des élites économiques et intellectuelles est tel qu’il n’existe pas de récit ni de vision intelligente et rénovée de l’architecture de l’union monétaire qui puisse trouver un soutien populaire. C’est cette vision commune qu’il faut inventer d’urgence. »
Face aux forces centrifuges qui la menacent, DSK oppose sa vision d'une Europe solidaire, basée sur un vieux fond de culture commune qui englobe à la fois Michel-Ange, Shakespeare, Descartes et Picasso, citant même les paroles prophétiques d'Erasme, penseur hollandais de la Renaissance. A plus long terme, il appelle aussi à une ouverture de l'Europe vers son Sud, faisant ainsi de la Méditerranée, « berceau de notre culture » « qui apportera à la vieille Europe le sang neuf des jeunes générations », une « mer intérieure ».
Ci-dessous, l'intégralité du texte en langues anglaise, française et allemande :