De notre correspondante à Moscou,
La Russie a longtemps été le seul pays à la fois membre du G8 et des BRICS - autrement dit membre du club des pays les plus puissants et membre du club des pays émergents à forte croissance. Mais depuis la crise ukrainienne, la Russie est exclue du G8.
Pour Moscou, la tentation est donc grande de faire des BRICS un « contre-G8 ». Le Kremlin présente les BRICS comme le symbole mais également le moyen de parvenir à un monde multipolaire. Le renforcement des BRICS est un élément essentiel de la politique russe. Il s'agit de faire évoluer ce forum de dialogue, vers une structure de coopération politique et économique.
Moscou souhaite donc développer des projets d'intérêt commun, comme l'est la banque de développement qui va voir le jour lors de ce sommet. Toutefois, le Brésil, l'Inde ou l'Afrique du Sud n'ont aucune envie de s'opposer aux pays occidentaux. Quant à la Chine, elle défend surtout ses intérêts économiques. Moscou ne doit donc pas s'attendre à trouver dans les BRICS des alliés pour sa politique extérieure.
Enjeux économiques
Ce sommet doit aussi entériner le lancement d'une nouvelle banque de développement qui devrait être opérationnelle d'ici la fin de l'année. Les BRICS, qui représentent 40 % de la population mondiale et un cinquième du PIB de la planète, ont décidé dès 2013 de se doter de leur propre banque, pour financer des grands travaux d'infrastructures. Pour ces pays qui connaissaient alors une forte croissance, il s'agissait notamment de s'affranchir du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, dans la mesure où les Occidentaux refusaient de réformer l'institution pour donner plus de droits de vote aux pays émergents.
La Chine, l'Inde et la Russie ont déjà ratifié l'accord de création de cette banque. Le capital de départ doit être de 50 milliards de dollars avec pour objectif un taux de capitalisation de 100 milliards de dollars. La présidence revient à l'Inde pour cinq ans. L'Afrique du Sud obtient la vice-présidence, mais pas le siège de l'organisation comme elle le souhaitait. La Banque sera en effet basée à Shanghai.
Pour l'instant, pas question de s'affranchir du dollar pour cette nouvelle banque de développement, même si la Russie et la Chine n'excluent pas pour certaines opérations de recourir à d'autres monnaies. Les BRICS envisagent aussi de créer leur propre agence de notation. Mais on en est à ce sujet qu'aux balbutiements.
Pour aller plus loin, lire ci-dessous l'interview du rédacteur en chef de la revue Russia in global affairs, Fiodor Loukianov.
RFI : Que recherche la Russie au sein des BRICS ?
Fiodor Loukianov : La Russie trouve son intérêt dans le renforcement d'une alternative aux approches occidentales. Transformer les BRICS en une force anti-occidentale est impossible, parce que parmi les pays qui en font partie, le seul qui est en conflit direct avec l’Occident, c’est la Russie. Tous les autres ne sont pas en conflit et ne souhaitent pas de conflit.
Mais il y a un autre aspect : on constate que l’Occident est de moins en moins apte à résoudre les problèmes du monde. Cela concerne les institutions financières, économiques, politiques du monde occidental, mais aussi la gouvernance des pays occidentaux, car on voit que l’Union européenne et les Etats-Unis vivent chacun une crise intérieure. Premièrement, ils ne sont plus des exemples pour les autres pays, et deuxièmement, ils portent moins d’attention à ce qui se passe dans le monde.
Dans le contexte où les capacités de l’Occident diminuent peu à peu, il y a une demande croissante pour d’autres institutions, d’autres sources financières, de coopération politique, militaire et économique. Et dans cette situation, le rôle des BRICS va se développer.
La Russie ne cherche-t-elle pas à faire de ce club un anti-G8 (redevenu G7) ?
C’est peut-être l’intention de la Russie, mais elle n’y arrivera pas, parce que le G7, avec toutes ses divergences intérieures, est une communauté d’Etats unis par des valeurs idéologiques plus ou moins communes. La tentative de la Russie d’en faire partie a échoué, parce que la Russie ne partage pas ces valeurs. Les BRICS ne peuvent pas avoir de valeurs communes, tout simplement parce que la notion de valeurs communes, c’est une notion unique et occidentale.
Pour la Russie, les BRICS ont-ils surtout un intérêt d’ordre économique ou d’ordre politique ?
Tout d’abord politique, mais l’intérêt économique apparaît au fur et à mesure que les BRICS évoluent. La création d’une banque de développement des BRICS est un pas dans cette direction. Ce ne sont pas des fonds très importants, mais c’est un premier pas vers la création d’une institution de développement internationale non occidentale.
Pour la Russie, le spectre des possibilités avec l’Occident s’est beaucoup réduit, et je ne pense pas que ça va bientôt changer. Un remplacement de l’Occident par les BRICS est impossible parce que le potentiel de l’Occident est très important. Mais un remplacement partiel est possible. Et dans la mesure où une réconciliation avec l’Occident ne paraît pas probable, l’importance des BRICS pour la Russie augmente. Je crois qu’avec ce qui se passe dans le monde et notamment en Europe, l’importance de cette banque et plus généralement des BRICS comme structure alternative pourrait augmenter même plus vite qu’on ne le pense.
Si par exemple la situation de la Grèce se détériore dramatiquement, si la Grèce se retrouve hors de la zone euro, à qui va-t-elle s’adresser, si elle se brouille avec tous les créanciers ? Je ne pense pas que la Chine ou la Russie veuillent donner de l’argent à la Grèce. Mais c’est un exemple, s'il y a un pays, peut-être faible, peut-être corrompu, n’importe, mais qui s’est complètement brouillé avec ses partenaires et ses créanciers occidentaux. Ou va-t-il aller ? Théoriquement il y a maintenant une autre possibilité.
La Russie peut-elle être tentée d’utiliser ces pays aussi pour ses ambitions diplomatiques ou politiques ?
Bien sûr, la Russie voudrait bien s’appuyer sur des pays aussi importants. Mais je pense que les possibilités sont limitées. Les BRICS ne vont pas soutenir la pression sur la Russie. Nous l'avons déjà constaté en plusieurs occasions. Mais ils ne vont pas non plus soutenir la position de la Russie, notamment celle sur l’Ukraine actuellement. Ils préfèrent conserver une attitude neutre, ce qui dans la situation actuelle, est plutôt en faveur de la Russie.
Propos recueillis par Muriel Pomponne