De notre correspondant à Istanbul,
L’idée de renforcer la législation turque en matière de sécurité remonte à la mi-octobre, juste après des émeutes violentes qui ont opposé les Kurdes aux forces de l’ordre dans le sud-est du pays, mais également dans plusieurs grandes villes de Turquie, faisant une cinquantaine de morts. C'était alors au sujet de la situation à Kobane. La première motivation du gouvernement est essentiellement de lutter contre le mécontentement des Kurdes.
Mais au-delà, il y a sans doute d'autres justifications à la volonté d’un tel resserrement des contrôles policiers. L'autre ennemi intérieur accusé par le gouvernement de fomenter un complot, c'est la confrérie Gülen, qualifiée d'« Etat parallèle », qui a valu depuis un an des centaines d'arrestations, notamment au sein de l'appareil judiciaire et de la police. Paradoxalement, ce n'est donc pas sous la pression d'un risque terroriste que le gouvernement légifère mais contre une contestation sociale et politique, un peu comme les manifestations de Gezi en juin 2013, qui avaient ébranlé le pouvoir du Parti de la justice et du développement de Recep Tayyip Erdogan.
Officiellement, le texte entend « améliorer les capacités d'organisation et de coordination de tous les services de sécurité ». Ce que les juristes dénoncent avec une particulière virulence, c’est par exemple le fait que la police aura toute légitimité pour venir pénétrer, fouiller des domiciles privés et placer en garde à vue leurs occupants sans aucun mandat d’un procureur ou d’un juge d’instruction avant 24 heures.
Le droit de manifester sera aussi quasiment supprimé puisque le simple fait de se retrouver dans une manifestation exposera au risque de se faire là encore arrêter par la police sans mandat. Dans les manifestations, les jets de pierres seront considérés de la même manière que l'utilisation d'armes à feu et lourdement punis, alors que la police aura elle le droit de tirer à balles réelles pour contrôler ces mouvements de foule. Parallèlement à cela, il y a aussi le contrôle de la Toile et des échanges d'information pourtant déjà très surveillés puisque n'importe quel ministre a déjà le pouvoir de bloquer le compte d'un internaute sans décision de justice.
L’examen de ce paquet de lois par le Parlement devait débuter mardi 10 février, mais il a été ajourné, car l'opposition à cet arsenal juridique est extrêmement large. L'ensemble des partis d'opposition demande de nouvelles discussions en commission. Ils devraient voter contre le projet de loi, mais le parti du gouvernement n'a pas besoin d'eux donc le texte devrait être facilement approuvé.
La société civile appelle d'ailleurs à se mobiliser. Des manifestations sont annoncées dans les prochains jours. L'Union européenne s'est elle-même montrée très inquiète des dispositions annoncées, qualifiées d'« orwelliennes » et de « liberticides » par ses détracteurs, alors que la Turquie détient déjà le record mondial du nombre de journalistes en prison et de censure d'Internet. L'opposition parle même de « dérive fascisante ».