RFI : Ces derniers jours, on disait que la chute de l’aéroport de Donetsk ferait date. Aujourd’hui on peut dire que c’est Marioupol qui concentre toute l’attention ?
Annie Daubenton : On peut dire aussi que les deux lieux sont des points stratégiques. C’est-à-dire que depuis l’aéroport de Donetsk, qui a été effectivement un virage dans ce conflit, jusqu’à Marioupol, c’est la route vers la Crimée que les séparatistes sont en train d’essayer de relier.
Est-ce une continuité territoriale pour accéder à ce territoire annexé par la Russie ?
A travers la mer d'Azov quand même. Mais une forme de continuité territoriale ou tout au moins d’accès direct entre le sud du Donbass et la Crimée.
Ce matin, on a entendu justement Kiev mettre en cause les séparatistes, et les rebelles pro-russes se défendre. Mais cet après-midi, un dirigeant séparatiste a annoncé avoir lancé l'offensive contre Marioupol. Est-ce que à l’heure où nous parlons, on peut déterminer avec certitude qui a tiré ce matin, l’origine de ces tirs sur le port ?
C’est assez simple dans la mesure où comme d’habitude, les séparatistes se sont vantés et ils ont eux-mêmes fait des annonces sur leur site favori en disant « la libération de Marioupol a commencé ». Donc d’une certaine manière, c’est une forme de revendication par les fauteurs de troubles eux-mêmes. Par ailleurs, une délégation de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a été dépêchée sur place immédiatement et également la Croix-Rouge. C’était le cas pour Donetsk.
Des institutions dans lesquelles les forces russes sont représentées confirment toujours que les intrusions sont le fait de mercenaires ou de soldats russes. Ces derniers sont de plus en plus nombreux, et selon les experts qui ont donné ce matin leur analyse, les soldats russes se sont servis depuis des mois maintenant du Donbass comme zone d’entraînement. Il faut bien voir que les soldats russes, et une carte en a été établie, viennent de toute la Fédération de Russie, de tous les points de la Fédération de Russie, parfois sans savoir où ils vont, parfois en le sachant. Il y a là quand même un certain nombre de données que le Kremlin ne peut que très difficilement démentir même s’il le fait toujours.
Le Kremlin dément toujours et même vendredi, on a entendu Vladimir Poutine mettre en cause Kiev, pointer la responsabilité des forces loyalistes dans cette reprise des combats intensifs.
Oui, parce que la position des troupes de Kiev est assez difficile dans la mesure où ils ont la possibilité seulement de répondre et jamais d’attaquer. Effectivement quand ils sont attaqués, ils répondent. Mais ce qu’apparemment Moscou voudrait, c’est qu’ils soient attaqués sans répondre pour leur faciliter le chemin. Donc on est comme d’habitude, comme depuis le début de cette guerre entre les deux Etats, dans un jeu de passe-passe qui ne ment plus à grand-monde.
Ce matin à Marioupol, ce sont des quartiers résidentiels qui ont été visés. La question peut sembler naïve, mais pourquoi les séparatistes visent-ils les populations et non peut-être des positions de l’armée ?
La situation s’éclaircit. J’ai regardé les cartes d’état-major ce matin. Bien sûr les quartiers résidentiels sont plutôt à l’écart de la ville, et ont donc été frappés puisque la ville a été encerclée. Par ailleurs, cette petite ville de Vinograd est celle qui est à la pointe extrême de Marioupol, c’est-à-dire la plus proche du débarquement vers la Crimée. Donc il y a, je dirais et je pense, peut-être plutôt une logique géographique que de frapper la population, même si visiblement ce ne sont pas des soldats qui ont un code de conduite militaire. C’est aussi ça le problème depuis le début de ce conflit, c’est-à-dire qu’effectivement le fait d’épargner la population, soit par des erreurs de tirs – comme on l’a vu au moment du Boeing de la Malaysia Airlines –, soit par décision de frapper autant et de faire mal autant aux populations civiles que d’attaquer les militaires, il y a là de la part des séparatistes probablement une absence totale de discernement et je dirais presque de professionnalisme dans la conduite des actions.
Annie Daubenton, est l'auteure de Ukraine, les métamorphoses de l'indépendance, aux éditions Buchet Chastel.