Avec notre correspondant à Istanbul, Alexandre Billette
Après le choc, la colère. Celle des proches des mineurs disparus à Soma, mais aussi celle qui s'est exprimée mercredi 14 mai dans les rues, à Ankara et à Istanbul notamment. Colère contre les conditions de travail dans les mines du pays, alors que l'on a appris que le corps d'un adolescent de 15 ans a été retrouvé au fond de la mine. Colère contre la réaction du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui a semblé sans empathie en évoquant les risques du métier pour parler de la catastrophe...
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Colère enfin, plus générale, contre le Premier ministre, à Istanbul et Ankara, où les manifestations antigouvernementales sont courantes, notamment depuis la répression du mouvement de Gezi, en juin dernier. Mercredi les manifestations ont été réprimées violemment. A Istanbul, les policiers ont dispersé la foule au gaz lacrymogène, avec des balles de plastique et aux canons à eau. A Ankara 4 000 manifestants ont aussi été dispersés alors qu'ils voulaient marcher sur le ministère de l'Energie.
Ce jeudi, les syndicats ont invités les travailleurs à observer trois minutes de silence à neuf heures locales pour les mineurs disparus, et à s'habiller en noir. Le drame de Soma risque d'être difficile à gérer pour le gouvernement turc, à quelques jours du premier anniversaire des émeutes de Gezi.
• Zoom : La gigantesque place du charbon dans l'économie turque
Le charbon en Turquie est une source d'énergie mais c'est aussi un moyen de produire de l'énergie. De l'électricité notamment, dont la Turquie est gourmande, pour soutenir sa croissance qui s'est accélérée ces dix dernières années. Les centrales thermiques du pays sont alimentées en gaz naturel, plus cher puisqu'il est importé, et en charbon. Minerai sur lequel Ankara compte pour réduire sa dépendance, donc sa facture énergétique.
Le charbon, c'est aussi l'énergie du pauvre, moins cher que le gaz, importé, pour se chauffer, ou cuisiner, surtout s'il est gratuit. Depuis 2003, le parti au pouvoir, l’AKP, distribue ainsi des sacs de charbons aux foyers les plus modestes. Depuis quelques années, la Turquie développe ses mines de charbons à toute vitesse, ce qui pose évidemment aussi des questions en termes de sécurité. Les explosions dans les mines sont fréquentes, en particulier dans le secteur privé.
Les conditions de travail sont parmi les pires des pays émergents. Il y a trois semaines, le Parlement a refusé de former une commission pour faire un état des lieux de la sécurité des mines turques. En 10 ans, de 2002 à 2012, plus de 1 000 personnes ont été tuées dans les mines du pays.