Arrestation de Gerry Adams: le Sinn Fein dénonce un timing politique

En Irlande du Nord, le leader du Sinn Fein, Gerry Adams, a été arrêté mercredi soir. Il est interrogé dans le cadre de l’enquête sur le meurtre en 1972 d’une mère de dix enfants, Jean McConville. Meurtre dont l'Armée républicaine irlandaise (IRA), avait reconnu, il y a 15 ans, être l'auteur. Gerry Adams est aujourd’hui le chef du Sinn Fein, la branche politique de l’Armée républicaine irlandaise. Sans l’accord d’un juge et en l'absence de preuves accablantes, il sera relâché ce vendredi soir à 20h.

La police cherche à savoir si c’est Gerry Adams qui en 1972 a ordonné l’enlèvement et le meurtre de Jean McConville, une mère de famille que l'Armée républicaine irlandaise soupçonnait d’être une informatrice de l’armée britannique, ce qui s’est révélé faux.

Après avoir nié pendant des années toute responsabilité dans ce meurtre, l’IRA a finalement reconnu les faits en 1999. Gerry Adams, qui a toujours nié avoir été membre de l’IRA, s’est dit hier dans un communiqué « totalement innocent ».

Toute cette affaire découle d’un travail universitaire mené par le Boston College entre 2001 et 2006. Il s’agissait d’interviewer des anciens de l’IRA et les loyalistes qu’ils combattaient pour documenter cette période de guerre civile en Irlande du Nord.

Les enregistrements devaient rester sous clé. Mais il y a quelques années, un des chercheurs a écrit un livre, révélant le projet. Du coup la justice américaine a obtenu du Boston College une partie des bandes, à la demande de la police nord-irlandaise qui disait en avoir besoin pour enquêter sur le meurtre de Jean McConville.

Convoqué en pleine campagne électorale

La garde à vue de Gerry Adams peut durer jusqu’à 24 heures, avant une prolongation de la garde à vue, une libération sans charge, ou une inculpation. Dans trois semaines ce sont les élections européennes, auxquelles le Sinn Fein participe. Gerry Adams a déjà laissé entendre que les deux évènements pourraient être liés.

Juste avant de rencontrer la police, Gerry Adams avait accordé une interview à la télévision irlandaise RTI News :

« Je suis totalement innocent. Je n’ai eu aucun rôle dans l’enlèvement et le meurtre de Jean McConville. C’est vrai que je suis préoccupé par le timing : vous savez, je me suis porté volontaire, j’ai dit que j’étais prêt à venir. Mais je suis préoccupé par le timing, en pleine période électorale. J’ai essayé de construire la paix, je continuerai dans cette direction, et je me suis particulièrement penché sur le sort les victimes, y compris, même si elle n’était pas d’accord, sur celui de la famille McConville elle-même. »

Pour la vice-présidente du Sinn Fein, Marylou McDonald, cette arrestation a des motivations politiques. « Gerry Adams a écrit à la police nord-irlandaise dès le 23 mars. Il a été très clair sur le fait qu'il était disponible pour leur parler de Jean McConville. Ils l'ont maintenant convoqué, et je crois que le choix du moment de cet entretien est politique », déplore cette ancienne députée européenne.

« Je pense que certains espèrent que cela pourrait nuire à notre campagne électorale. Il est faux de dire que le simple fait d'être convoqué signifie que vous êtes suspect. Gerry est allé volontairement voir la police comme il l'avait annoncé. Notre préoccupation, c'est que cette convocation arrive juste en même temps qu'une campagne électorale de grande ampleur, en Irlande du Sud et du Nord », note Mme McDonald.

Réponse unanime de David Cameron et Peter Robinson, Premiers ministres britannique et nord-irlandais, à ces accusations : la manœuvre politique aurait été de ne pas questionner Gerry Adams. Ils insistent : en Irlande du Nord comme dans tout le Royaume-Uni, la loi est la même pour tous et la justice est indépendante.

Témoignage des enfants McConville

Mais les politiques n’ont pas été les seuls à s’exprimer dans les médias. Deux des dix enfants de Jean McConville, témoins de l’enlèvement, l’ont aussi fait. D’abord Michael McConville, qui s’est confié au micro de la BBC. Il avait 11 ans en 1976. Pour lui Gerry Adams est coupable, il était bel et bien donneur d’ordres dans le cas de l’enlèvement de sa mère. Michael McConville connaît d’ailleurs les noms de tous les autres ravisseurs, des membres l’IRA, mais ne peut révéler leur identité par peur de représailles.

Sa sœur aîné, Helen McKendry, elle, se dite prête à donner des noms, sans se voir comme délatrice d’un secret de l’IRA. Elle affirme vouloir remplir son devoir auprès de sa mère en offrant une coopération complète à la police. La garde à vue de Gerry Adams était très attendue par les enfants McConville. Michael affirme qu’il n’y croyait plus.


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Le récit de Michael McConville, fils de Jean McConville témoigne de ce silence imposé. Il s'est exprimé, 41 ans après les faits, ce jeudi à la radio irlandaise, RTE. Michael McConville avait 11 ans quand des membres de l'IRA ont enlevé sa mère à son domicile, en décembre 1972.

« Ils étaient entre dix et douze, certains masqués, d'autres non. Je les connaissais. Ceux qui n'avaient pas de masques étaient des voisins du quartier. J'en ai reconnu au moins quatre d'entre eux. Ils sont donc rentrés et ont emmené ma mère. Nous, les enfants, avons tous pleuré. Ma mère aussi pleurait. Nous ne l'avons plus jamais revue ».

Quelques jours après l'enlèvement, l'IRA s'en prend au jeune garçon. Battu et menacé d'un revolver pointé sur sa tempe, Michael McConville reçoit l'ordre de ne jamais révéler l'identité des assassins de sa mère. Une loi de silence qu'il respecte encore aujourd'hui, alors qu'il pourrait facilement livrer les coupables à la justice.

« L'IRA me tuerait ou d'autres membres de ma famille. Les ravisseurs vivent toujours dans le coin. Je les croise de temps en temps. Ils me rendent malade. Ils ont même le culot de me regarder droit dans les yeux. Ces gens là se fichent de moi. Ils se fichent de tout le monde ».

L'IRA n'a reconnu le meurtre de Jean McConville qu'en 1999. Elle a été tuée d'une balle dans la nuque.

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