Russie: le show du tsar Poutine

En Russie, le président Vladimir Poutine va faire son show à la télévision. A la mi-journée, il va répondre aux questions des téléspectateurs, envoyée par internet. Vladimir Poutine va sans doute se soumettre volontiers à cet exercice, tant sa cote de popularité est forte en ce moment.

De notre correspondante Moscou,

80% des Russes approuvent la politique de Vladimir Poutine d’après un récent sondage du centre Levada. Sa popularité, qui ne cessait de chuter depuis son élection fin 2011, a commencé à remonter au début de l’hiver, au fur et à mesure que s’approchaient les Jeux Olympiques. Elle est vraiment remontée en flèche depuis l’annexion de la Crimée. Près de 50% des Russes seraient prêts à réélire Vladimir Poutine, alors qu’il y a 6 mois, ils aspiraient majoritairement au changement.

Pour Lev Goudkov, directeur du centre d’étude Levada, les Russes sont pourtant très circonspects concernant la politique intérieure et économique du président russe. « En général, dit-il, les gens sont assez réservés quant à la réussite de la politique économique de Vladimir Poutine. Ils considèrent qu'il n'a pas tellement réussi, que la croissance des années précédentes était due au prix du pétrole. Il n'a pas non plus progressé dans la lutte contre la criminalité ou la corruption, et la situation au Caucase du nord n’est pas très bonne non plus. Mais tout le monde, indépendamment des affinités politiques, considère que son grand succès est le retour du prestige et de la puissance de la Russie au niveau international. »

Patriotisme et grandeur du pays

C’est donc sa politique extérieure qui est plébiscitée, surtout depuis le rattachement de la Crimée à la Russie. Le politologue Stanislav Belkovsky parle pour les Russes du « complexe d'échec », ou le syndrome de Weimar que le peuple russe subit depuis la chute de l'Empire russo-soviétique en 1991. Et Vladimir Poutine incarne ce sentiment et s’en sert pour se rendre populaire. Il a fait renaître le patriotisme russe, qui est le ciment de la société. Lev Goudkov explique que le patriotisme est la base de l'identité nationale. C'est enseigné à l'école et diffusé dans la société par toutes les institutions du pays. C'est l'orientation fondamentaliste et traditionaliste, avec la glorification du « passé héroïque », surtout du passé impérial, la victoire pendant la guerre, et l'autorité qu'avait l'Union soviétique qui contrôlait tous les voisins.

Mais pour l’analyste, cette glorification de la grandeur du pays, est un trait caractéristique des régimes autoritaires. « Plus les gens se sentent humiliés et dépendants du pouvoir dans leur vie privée, plus les symboles de la grandeur collective comptent pour eux », ajoute-t-il. Cette fierté comble un vide dû à une insatisfaction au niveau politique. Les Russes ne se font en effet aucune illusion sur la réalité du régime. Ils se rendent compte que dans la situation actuelle, quand le pouvoir contrôle totalement les élections, il n'y a pas d'alternative. Tous les éventuels candidats ou adversaires sont soigneusement éjectés de la vie politique. C'est uniquement dans ces conditions que l'idée d'un « leader national » sans alternative, comme la propagande l'appelle, persiste. Pour Lev Goudkov, ce rapport paternaliste entre le peuple et Poutine va ensemble avec un grand réalisme et beaucoup de désillusions : pour les gens, le pouvoir va les tromper et ne respectera pas ces promesses. Mais pour autant, les gens n'arrivent pas à imaginer un autre système politique. Ceci est la base du conservatisme russe.

La popularité de Poutine s’expliquerait donc à la fois par sa capacité à donner un élan patriotique, et à décrédibiliser toute idée d’alternative politique.

Paternalisme et autocratie

Par ailleurs les Russes ont traditionnellement un rapport très paternaliste avec le pouvoir. Et, comme le dit Stanislav Belkovsky, les gens sont prêts à sacrifier une part de leur liberté pour qu’on leur assure le minimum vital. Ce sentiment est plus fort chez les personnes âgées que chez les jeunes, plus fort en province que dans les grandes villes, mais il est encore très persistant.

Stanislav Belkovsky explique que l'idée d'un tsar existe dans le système politique russe depuis de nombreux de siècles. Les caractéristiques les plus importantes qui rendent le tsar légitime dans les esprits des gens sont d'une part son exclusivité (le fait qu'il n'existe pas d'alternative), d'autre par son infaillibilité (l'impossibilité de critiquer le tsar).

La lente évolution de la perception de la politique

Pour le politologue Stanislav Belkovski, il y a peu d’évolution. Les années 1990 ont créé une illusion que le rituel monarchique allait disparaître. Mais avec Poutine, ce mode de fonctionnement monarchique est revenu à l’ordre du jour. Maintenant il est évident que la transformation de la Russie en république parlementaire de type européen est en suspens pour une durée indéterminée. On ne peut même pas dire que du côté des nouvelles générations, une majorité des jeunes cherchent à développer la société civile. Seulement une partie aspire à s’engager. Le simple fait de voyager et d'être présent dans les réseaux sociaux ne change rien. Et pour ce politologue, l'annexion de la Crimée, qui a suscité tant d’élan patriotique, l'a montré.

De plus, pour Lev Goudkov, il y a une peur qui subsiste de l’époque soviétique, et qui n’incite pas à se démarquer. L’état d’esprit des gens est très conformiste. Stanislav Belkovski note que parmi les jeunes qui ne sont pas satisfaits de la situation et de Poutine, l'idée d'immigrer est populaire. Quitter le pays plutôt que de le transformer. Les difficultés économiques mettraient en danger la popularité du président Poutine. Pour Lev Gouvkov, la baisse du niveau de vie, lente mais constante, et des revenus de la population, est en partie liée à cette aventure en Ukraine, mais aussi aux difficultés qui se sont accumulées précédemment. Le modèle économique du pays s'approche d'une impasse.

Stanislav Belkovski pense qu’un changement ne peut se produire que brutalement, avec un échec de la politique expansionniste de la Russie ou un effondrement de l’économie. Dans ce cas, une grande partie de la population, et surtout les jeunes, viendront à l'idée que le pays a besoin de changements qualitatifs. Et il pense qu’un effondrement économique est très probable, et que la situation peut se retourner en un instant.

Pour l’instant, Vladimir Poutine a fait table rase de son opposition, et il est très populaire, grâce à sa politique expansionniste, mais les présidentielles ne sont qu’en 2018. Ce qui fait dire à Stanislav Belkovski que Vladimir Poutine va essayer de poursuivre sa politique expansionniste au-delà de la Crimée.

→ A (re)lire: Vladimir Poutine veut rendre l'Ukraine ingouvernable

Partager :