RFI : Est-ce que les Luxembourgeois sont inquiets ?
Mario Hirsch : Tout à fait. Je crois qu’on commence à se rendre compte que le Luxembourg, contrairement à ce que d’aucuns ont pu penser, n’échappe pas à la crise, lui non plus. On commence à expérimenter les premières tentatives pour mettre en œuvre une politique d’austérité très modérée, certes, mais quand même, le gouvernement n’y échappera pas. Ce qui inquiète un peu les gens parce que l’électorat est un électorat extrêmement conservateur. Il faut rappeler que moins 50 % des résidants du pays ont le droit de vote. Et la plupart de ceux qui ont le droit de vote sont dans le secteur protégé de la fonction publique ou assimilée.
C'est le secteur qui emploie le plus grand nombre d’habitants au Luxembourg ?
Le plus grand nombre d'électeurs je dirais, pas le plus grand nombre d’habitants. Mais ces gens-là sont dans un secteur protégé, donc ils sont moins exposés que d’autres à la crise. Mais quand même, les gens commencent à s’inquiéter aussi parce que les salaires et les pensions de la fonction publique sont très généreux.
Justement, vous parlez des salaires… Le Luxembourg, ce sont des salaires indexés à la hausse des prix - tous les deux ans, une mesure très attractive aussi pour les travailleurs des pays voisins, qui sont nombreux à venir au Luxembourg. Sa remise en cause pourrait bouleverser la donne ?
On a déjà, depuis maintenant deux ans, ralenti l’adaptation automatique des salaires à l’évolution du coût de la vie. Donc ce n’est plus un automatisme. Alors que dans le passé il y avait deux ou trois ajustements par an de 2,5 % chaque fois. Cette fois-ci on s’est mis d’accord pour limiter à un seul ajustement par an.
Cela joue sur l’économie du pays ?
Bien sûr ! L’effet recherché c’est d’améliorer la compétitivité du Luxembourg ! Vous savez, même au Luxembourg on se mesure à l’Allemagne, comme en France aussi. On se compare à l’Allemagne. On constate que les coûts salariaux évoluent beaucoup plus vite que les coûts salariaux en Allemagne. Donc il y a nécessité de freiner tout cela.
Mario Hirsh, la fin du secret bancaire qui est annoncée pour 2015, quelles seront ses répercussions sur l’économie du Luxembourg ?
Il y a deux façons de réagir à cela. Il y a ceux qui disent : on a anticipé, on a pris des précautions, on a diversifié, on ne fait plus que du private banking..et bien d’autres choses qui ne seront pas touchées par cet échange automatique d’information fiscale, mais d’un autre côté il ne faut pas se leurrer non plus, parce que jusqu’à présent, la place financière du Luxembourg profite très largement du secret bancaire. Et moi je dirais que, sans doute, un tiers des activités de ces places financières dépendent directement de l’existence ou non de ce secret bancaire qui sera donc remis en cause d’ici un an.
Alors on ne peut, bien évidemment ne pas parler du Luxembourg sans parler de Jean-Claude Juncker, dix-huit ans de pouvoir, président de l’Eurogroupe de 2005 jusqu’en janvier dernier, contraint à la démission après le scandale des services de renseignements. Doit-il selon vous, craindre cette élection ? A-t-il perdu en crédibilité auprès de ses électeurs ?
Tout d’abord je dirais que ça fait quand même un très grand bail, parce qu’il n’y a aucun autre chef d’Etat ou de gouvernement en Europe qui peut se targuer d’un bail aussi prolongé. Mais d’un autre côté, il est devenu trop confiant aussi il n’a pas pris les précautions qui s’imposent. Il a négligé certaines activités qui lui incombaient, notamment le contrôle des services secrets, d’où sa chute et l’échec du gouvernement qu’il préside.
Le fait que certains lui reprochent d’avoir négligé son pays au profit de l’Europe ça pourrait lui jouer des tours ?
Oui et non. Il ne faut pas se leurrer non plus. Il y a même dans ce pays, qui est toujours très pro-européen, il y a quand même certains réflexes nationalistes qui commencent à se faire jour. Et effectivement, il y a des gens qui accusent Juncker d’avoir négligé son propre pays pour sauver ou pour faire avancer sa carrière européenne.
Mais je dirais que c’est une minorité qui tient ce raisonnement. D’un autre côté, il est certain que Jean-Claude Juncker va devoir s’impliquer plus dans les affaires locales, s’il est réélu et conserve son poste de Premier ministre.