C’est une première. Jamais auparavant les dirigeants européens ne se sont rencontrés dans cette configuration. Or, elle crée des conditions propices pour évoquer quelques problèmes difficiles.
On parlera donc de la situation actuelle et de l’avenir de la zone euro, tels que vus par les Etats qui n’y participent pas encore. La Hongrie, la Pologne et la République tchèque s’inquiètent de voir l’Eurozone s’attribuer des pouvoirs décisionnels de plus en plus importants et s’acheminer vers la constitution d’un noyau dur d’une Europe à deux vitesses.
Les Etats européens non membres de la zone euro en dépendent fortement, mais ne peuvent avoir aucune influence sur les décisions qui les concernent, au moins indirectement. Un statut particulier pourrait être attribué aux Etats non membres qui le souhaitent afin de leur permettre de suivre les débats au sein de la zone euro de près, sans pour autant pouvoir participer aux votes. Un tel statut est actuellement en discussion, mais les décisions en la matière ne seront certainement pas prises lors du sommet de Varsovie. Toutefois, celui-ci peut aider à définir les positions des uns et des autres : l’Allemagne et la France jouent un rôle clé parmi les membres de la zone euro, la Pologne compte parmi les non membres les plus importants.
La défense en construction
Un autre sujet principal qu’aborderont Angela Merkel et François Hollande avec leurs homologues de l’Europe centrale, c’est la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). On en parle beaucoup et depuis longtemps. Le Traité de Lisbonne souligne particulièrement son importance. Cependant, il est clair que l’Union européenne en est toujours au stade de la construction, et que cette construction est difficile. En langage diplomatique, on parle d’ambitions réalistes, ce qui veut dire : assez limitées.
Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, auteur du Dictionnaire géopolitique de défense européenne », rappelle que l’UE en est toujours à essayer de créer un véritable état-major stratégique et opérationnel commun, mais n’y arrive pas à cause du blocage britannique. Et quant aux ambitions de mise en réseau et de partage des capacités, elles sont mises à mal par les coupes dans les budgets de la défense nationale dans la plupart des pays européens.
Le facteur américain
La formule « Groupe de Visegrad + Triangle de Weimar » semble d’autant plus intéressante pour en parler qu’il y a encore quelques années les pays d’Europe centrale se demandaient pourquoi l’Europe devait construire une politique de défense distincte, alors qu’elle bénéficiait du fameux « parapluie américain » et de la protection de l’Otan… A l’époque, c’était l’un de principaux axes des controverses entre « la vielle Europe », surtout la France, et « la nouvelle ».
En soi, le questionnement des « nouveaux » pays membres de l’UE n’était pas totalement infondé, mais la position des pays d’Europe centrale, surtout de la Pologne, a sensiblement évolué ces dernières années. A l’occasion notamment de l’affaire du bouclier anti-missile américain en Europe, ils ont pu constater que la Russie, qu’ils redoutent par-dessus tout, comptait pour Washington nettement plus qu’eux-mêmes. Ils tiennent donc à créer une alternative européenne « au cas où ».
La crise malienne montre les limites de la PESD
Toutefois, les obstacles à une vraie politique commune en la matière se situent également ailleurs. Pour Marcin Terlikowski, chercheur à l’Institut polonais des affaires internationales (PISM), « le principal obstacle, c’est la souveraineté nationale et l’attachement des Etats à considérer l’usage de la force comme une prérogative strictement nationale ». On retrouve les conséquences de ces hésitations des Etats à s’engager dans les opérations militaires aux côtés des autres dans l’actualité. Selon le chercheur polonais, « c’est la situation au Mali qui montre bien les limites de la politique commune de sécurité et de défense de l’UE. Bien que la menace terroriste soit importante pour tous, il s’agit en réalité d’une intervention unilatérale de la France, aidée par les forces africaines ».Et Marcin Terlikowski de conclure : « Malheureusement, la crise malienne constitue une preuve que les Etats n’ont ni l’envie, ni les ressources financières pour lancer une telle coopération ».
Ceci dit, le spécialiste polonais ne désespère pas pour l’avènement d’une politique commune de défense. Seulement, les motifs qu’il pense susceptibles de convaincre les Etats européens à la mettre en œuvre relèvent d’un scénario noir : « Ce qui pourrait aider l’intégration militaire, c’est soit l’apparition d’une menace commune, soit les conséquences de la crise financière et économique. En effet, celle-ci risque d’amener les petits pays européens à la conclusion qu’ils ne sont plus en mesure de financer leur défense tout seuls ».
Le nerf de la guerre
Ainsi, l’expert français parle de budgets réduits, l’expert polonais évoque un manque de ressources financières… On touche, là, le vrai nerf de la guerre : l’argent. Paradoxalement, en Europe, les coupes dans les budgets de la défense sont dues pour une large mesure à la prospérité et à la protection efficace de la paix sur le continent depuis de longues années. Jean-Sylvestre Mongrenier considère que « la plupart des pays européens se sentent aujourd’hui en sécurité, et donc on a laissé glisser
un petit peu partout les budgets de défense. Ils ont été divisés par deux au cours des 15-20 dernières années. A partir de là, il n’y a pas tellement de marge de manœuvre pour faire quelque chose en commun ». Le problème, c’est que cela arrange pas mal de monde : « Il y a beaucoup d’Etats qui ont un comportement de passagers clandestins. On est dans l’Otan, on compte sur les garanties américaines, et à partir de là on redéploye les dépenses publiques sur d’autres postes ».
Dans ce contexte, que peut apporter un sommet comme celui de mercredi, à Varsovie ? Il faut être très clair : aujourd’hui, aucun sommet ne peut aboutir à des décisions qui permettraient de mettre rapidement en place une vraie intégration militaire en Europe. En revanche, de telles rencontres multilatérales favorisent une véritable confrontation de vues et de vrais échanges entre les dirigeants, ce qui facilite l’évolution de leurs positions. Ce n’est qu’une petite étape qui aidera sans doute à esquisser les contours du futur noyau dur, composé des Etats prêts à s’engager dans une coopération permanente et renforcée dans le domaine de la défense, solution rendue possible par le Traité de Lisbonne. L’histoire de l’Europe communautaire, c’est l’histoire des débats et des compromis, et ce n’est pas différent en matière de défense.