De notre correspondant
L'homme a le visage creusé et le teint blafard. Dans une des chambres de l'hôpital central de Makarov, une petite ville à cinquante kilomètres à l'ouest de Kiev, Anatoly, 42 ans, gardien de nuit, attend son opération. « J'avais bu de la vodka et j'ai voulu rejoindre à pied le village dans lequel j'habite, à quelques kilomètres du bourg, souffle-t-il, mais j'ai mal évalué mes forces et j'ai dû m'arrêter ». Au petit matin, un pécheur a trouvé son corps inanimé dans la neige. « En arrivant, il était gelé jusqu'au bassin, explique le chirurgien Hryhory Tyshenko, il a de la chance d'être encore en vie ». Une chance toute relative, puisque les médecins vont lui amputer les doigts des mains et des pieds. « J'aurais préféré mourir, continue Anatoly, un homme sans main ni pied, ce n'est plus un homme, c'est... une chose ». Depuis le début de l'année, une dizaine de patients ont été hospitalisés à Makarov pour des engelures ou des hypothermies et 3 000 cas ont été recensés sur l'ensemble du territoire ukrainien.
Après un relatif redoux en début de semaine, le mercure est de nouveau tombé à -30° dans certaines régions, et cette vague de froid devrait se poursuivre jusqu'au 15 février. Pour faire face à l'urgence, les autorités ukrainiennes ont installé plus de 3 000 abris dans tout le pays, où l'on peut se réchauffer et obtenir de la nourriture. « Cela fait douze ans que je suis sans domicile, raconte Maksim, alors bien sûr, pouvoir dormir ici, c'est mieux que rien ».
A Kiev, dans le quartier de Sokolovski, une vingtaine de personnes ont trouvé refuge dans une tente militaire montée dans l'arrière-cour d'une barre d'immeubles soviétiques. Deux poêles fonctionnent en permanence, l'eau est chaude pour le thé, et la température ambiante atteint 15 degrés. « Nous avons les papiers d'identité de ces gens, et nous sommes responsables d'eux », souligne Valentin Meronenko, un sergent employé par le ministère des Situations d'urgence. Regroupés en cercle autour du feu, les hommes sont en train de préparer des vareniki, des sortes de raviolis aux pommes de terre. Après le dîner, des matelas seront étendus sur des palettes de bois pour passer la nuit. Les résidents de la tente de Sokolovski ont conscience d'être des « privilégiés », seule une dizaine d'abris de ce type ont été installés à Kiev. Dans la capitale ukrainienne, on estime que 12 000 personnes vivent dans les rues, trouvant refuge dans les caves, les halls d'immeubles ou les gares. Pour les médias et une bonne partie de la population ukrainienne, les autorités sont incapables de protéger efficacement la population. « Le gouvernement aurait pu faire plus, nos dirigeants ne connaissent même pas le nombre de sans-abri en Ukraine », affirme Pavlo Rozenko, un expert des questions sociales du centre de recherche Razumkov cité par le journal Kyiv Post, « les chiffres officiels parlent de 15 000 sans domicile fixe, quand les ONG qui travaillent avec les sans-abri évoquent celui de 800 000 ».
Viktor Baloha, le ministre des Situations d'urgence a déclaré il y a quelques jours, que l'alcool était impliqué dans 90% des accidents mortels, une façon, estiment certains, de minimiser la responsabilité des autorités. En Ukraine, le salaire moyen ne dépasse pas 200 euros et de larges franges de la population ont été durement touchées par la crise économique. « Chaque année, il y a plus de gens qui dorment dans les rues », confirme Maksim et d'ajouter : « mais c'est aussi le cas dans tous les autres pays du monde, non ? ».