Dmitri Medvedev limoge Iouri Loujkov, maire rebelle de Moscou

Le président russe Dmitri Medvedev a signé ce mardi 28 septembre 2010 un décret limogeant le puissant maire de Moscou, Iouri Loujkov, qui dirige la capitale russe depuis 1992. Il a osé entrer en rébellion ouverte contre le Kremlin et le président Medvedev. Toutefois, il semble garder le soutien discret du puissant Premier ministre Vladimir Poutine.

« Je n’ai pas l’intention de partir de mon propre gré ». C’est ce qu’a déclaré Iouri Loujkov à l’agence Interfax lundi 27 septembre au matin, juste après son retour d’une semaine de vacances en Autriche, où il fêtait son 74e anniversaire avec sa famille. Selon des rumeurs persistantes, le Kremlin lui aurait laissé uniquement le choix des conditions de départ de son poste.

Il est vrai que le maire de Moscou fonctionnait depuis des années comme un mini-Etat au sein de l’Etat russe, marquant son indépendance d’une manière qui a fini par agacer au plus haut point les autorités fédérales. Il est même allé jusqu’à se mêler directement des relations très sensibles entre la Russie et l’Ukraine. Ses déclarations sur la « ville russe de Sébastopol » et d’autres affirmations controversées en la matière lui ont valu finalement un statut de persona non grata en Ukraine.

Nostalgie et xénophobie

Ce n’était ni la première, ni la dernière provocation de Iouri Loujkov. En réalité, il exprimait souvent sans langue de bois des attitudes et des désirs nostalgiques de la frange la plus conservatrice de la société russe, celle qui n’a toujours pas digéré la disparition de l’empire soviétique. Frange qui l’approuve sur le fond, mais aussi sur la forme, en appréciant beaucoup son autoritarisme et son langage sans détours. Frange qui n’était pas du tout mécontente de sa proposition de reconstruire à Moscou le monument du fondateur de la police politique soviétique, Félix Djerjinski. Frange qui l’applaudissait quand il lançait l’idée d’afficher de nouveau des portraits de Staline dans la capitale, à l’occasion du 65e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. Frange qui partage son dégoût pour les immigrés. Frange qui reste assez nombreuse. Seulement, sa nostalgie et sa xénophobie sont devenues politiquement incorrectes. Ainsi, les autorités fédérales ont du mal à supporter quelqu’un qui s’en fait le héraut – en tout cas, quand il le fait sans leur aval, sans leur participation et sans qu’elles en tirent des bénéfices politiques.

Cependant, Iouri Loujkov a bâti sa position essentiellement sur sa popularité parmi les Moscovites. Ses scores aux trois élections consécutives oscillaient entre 70% et 90% des voix. Pour les habitants de la capitale, il est l’incarnation même des grandes réalisations de la période post-soviétique, comme la cathédrale du Christ-Sauveur, le périphérique ou le stade Loujniki.

Campagne médiatique

Son capital de popularité a été néanmoins sérieusement entamé au cours de l’été dernier, quand il s’était absenté de Moscou, alors que la ville étouffait dans la fumée, cernée par les incendies. Il expliquait que sa présence n’était pas nécessaire car « tout était sous contrôle », mais il n’a manifestement pas convaincu beaucoup de monde. Une belle occasion pour la présidence fédérale d’essayer de l’ébranler.

Les médias, dont la majorité est contrôlée soigneusement par l’Etat, ont lancé des attaques d’une rare violence contre Iouri Loujkov, et accessoirement contre son épouse, Elena Batourina, considérée comme la femme la plus riche de toute la Russie. L’apogée, c’était un reportage de la télévision NTV montrant un penchant très prononcé du couple pour la corruption et le népotisme.

Les Loujkov ont porté plainte pour diffamation. Jusqu’à présent, le maire de Moscou a gagné tous les procès qu’il avait intentés contre ceux qui l’accusaient de corruption. Cette fois, l’issue est moins certaine. En effet - événement sans précédent - un tribunal à Moscou vient d’invalider deux interdictions de manifestation, imposées par la Mairie. L’une concernait un rassemblement d'activistes homosexuels ; l’autre, une manifestation contre… Iouri Loujkov. Selon le militant des droits de l’homme Lev Ponomarev, cité par le journal Novyé Izvestia, « ce verdict signifie soit que Loujkov a perdu tout contrôle sur les tribunaux de la capitale, soit que les juges de la capitale ont décidé de respecter la loi ». Pour ceux qui connaissent les rouages de l’Etat russe, c’est plutôt la première hypothèse qui semble plausible…

Jeux présidentiels

Il n’empêche que Loujkov défie Dmitri Medvedev avec beaucoup d’audace. Il lui a ouvertement reproché de mal gouverner le pays, en essayant de démontrer que les conditions de vie à Moscou étaient - évidemment, grâce à Iouri Loujkov - bien meilleures que dans le reste du pays, géré par les autorités fédérales. S’il se permet d’aller aussi loin dans la critique du Kremlin, c’est sans doute parce qu’il compte sur un soutien discret de Vladimir Poutine qui, en effet, reste plutôt silencieux. On ne peut pas exclure que, dans la perspective de l’élection présidentielle à laquelle il se présentera presque certainement, il ne soit pas mécontent de voir Dmitri Medvedev perdre la face dans cette affaire et confirmer ainsi sa réputation de « faible ». Comme l’estime le politologue Mikhaïl Vinogradov, cité par l’AFP, « Poutine pourrait alors apparaître comme un arbitre, offrant un compromis ». Par ailleurs, il serait sans doute utile à Poutine de conserver le soutien du puissant clan Loujkov au moins jusqu’à la présidentielle. Et après, on pourrait trouver une retraite dorée au chef du clan, aujourd’hui âgé de 74 ans. A moins qu’il ne partage le sort d’un autre homme riche et ambitieux, Mikhaïl Khodorkovski.

En tout cas, il y a assez peu de chance qu’un éventuel départ d’un maire autoritaire, xénophobe et corrompu puisse automatiquement ouvrir une ère d’une vraie démocratie locale, dont la Russie a tellement besoin pour se développer à long terme. Depuis 2004, les gouverneurs (le maire de Moscou a le même statut) ne sont plus élus, mais nommés par le pouvoir central. Loujkov lui-même a été intronisé en 2007 par Vladimir Poutine. Et dans ce domaine, rien n’annonce des changements substantiels.

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