De notre envoyé spécial au Kazakhstan,
« Khan Shatyr sera comme l’Opéra de Sydney ou la Tour Eiffel pour Paris. Ce sera la vitrine du Kazakhstan dans le monde. » Aytekin Gultekin, patron de Sembol, la société turque à laquelle le Président Nazarbaïev a confié la construction de l’édifice, sait que ce chantier revêt une importance toute particulière pour le chef de l’Etat kazakh. La construction de la nouvelle capitale de l’ex-république soviétique d’Asie centrale est sa grande œuvre.
En 1997, Noursoultan Nazarbaïev décidait de changer de capitale, pour des raisons géopolitiques, soucieux qu’il était alors de mieux occuper symboliquement l’immense espace de son pays, grand comme cinq fois la France. Khan Shatyr, une sorte de tente (Khan) de 150 m de haut, à la toile transparente, est à la fois résolument moderne et une référence à l’identité nomade kazakhe. Le célèbre architecte londonien Norman Foster a su concilier ces deux exigences du Kazakhstan d’aujourd’hui, en quête d’identité propre autant que de reconnaissance sur la scène mondiale.
Ainsi, la nouvelle capitale se veut éclectique. L’idéologie officielle de la jeune république l’exige. Pour donner corps à ses projets politiques et économiques, prendre sa place dans la géopolitique née de la chute de l’URSS, mais aussi pour mieux « tenir » les 16 millions de Kazakhstanais, mosaïque de peuples héritée des sombres heures de l’histoire du siècle passé, le pouvoir kazakh a repris à son compte l’idéologie eurasiste, empruntée aux élites turciques de l’ancien espace soviétique. Le Kazakhstan, « pont entre l’Europe et l’Asie », aurait hérité du meilleur de ces deux mondes et serait de ce fait comme naturellement tolérant. En pratique, ce discours est bien pratique pour remettre à demain l’avènement de la démocratie.
Les meilleurs architectes du monde sont invités à inventer les immeubles du futur au cœur de la nouvelle Dubaï, ou Brasilia des steppes. Les réalisations sont de valeur inégale. Cet éclectisme est aussi le reflet du système politique existant. Ainsi, le libéralisme encadré du pays se reflète dans les constructions. « La mosquée a des minarets hauts et effilés. Ce n’est pas le style kazakh. Mais elle a été offerte par l’émir du Qatar. Le pouvoir a accepté les desiderata architecturaux du donateur », explique la philosophe Koulchat Medeouova.