À la Une: retraites et pourrissement

Pourrissement, c’est le mot qui revient de plus en plus dans cette crise qui s’éternise et qui risque bien de passer les fêtes. Pourrissement, c’est d’après le journal Le Monde, « la voie choisie » par le gouvernement. En se montrant ouvert à la discussion mais sans rien concéder sur l'essentiel, le pouvoir mise sur l'usure des grévistes, qui ne peuvent se permettre de perdre plusieurs semaines de salaire. Il table aussi sur le retournement de l'opinion.

« Pourrissement, guerre d'usure ? », se demande Nicolas Beytout dans le journal L’Opinion. Il rappelle qu’en 1995, au vingtième jour de blocage du pays, les grandes grèves étaient proches de leur dénouement. Le pouvoir, hésitant, s'apprêtait à flancher en retirant son projet de réforme des retraites. Les syndicats, sûrs de leur puissance, accentuaient la pression. La question n'était plus de savoir si Jacques Chirac allait céder, mais quand ? Les choses sont bien différentes cette fois-ci : le président et son Premier ministre semblent prêts pour la guerre d'usure, et le rapport de force en est durablement inversé. Avec une question : non pas si le front syndical va-t-il céder, mais quand, et à quel coût ?

Franges jusqu’au-boutistes

D’ailleurs, explique La Montagne, pour la première fois depuis le début du conflit, le nombre de grévistes chez les cheminots roulants est tombé sous la barre des 50 %. L'exécutif voudra sans doute y voir un coin enfoncé dans la mobilisation et une première dans sa stratégie de l'essoufflement.

D’où l’inquiétude émise par La République des Pyrénées. Tout se passe comme si l'on devait s'installer dans un conflit sans autre issue que la défaite en rase campagne de l'un ou l'autre des protagonistes, ce qui galvanise les franges jusqu'au-boutistes du mouvement à la SNCF, à la RATP mais aussi à EDF. Car il existe désormais dans certaines franges du syndicalisme une radicalité insurrectionnelle qui ne craint pas d'enfreindre la loi ni de perturber la vie sociale, sans se préoccuper de l'effet produit.

Ménager les susceptibilités

Pas de trêve à Noël donc. La bataille de l’opinion se jouera peut-être autour de la dinde ou du chapon. « Avant de s'installer autour de la table familiale, faudra-t-il laisser son téléphone portable dans une panière et supprimer des sujets de discussion la réforme des retraites ? » s’interroge Olivier Pirot dans La Nouvelle République du Centre-Ouest. Dans certaines maisons, le fait politique est déjà banni des conversations. Histoire de ménager les susceptibilités. Mais comme l'an passé avec le mouvement des « Gilets jaunes », la contestation du projet du gouvernement reste au cœur du quotidien des Français. Ne serait-ce que dans leurs déplacements et encore plus dans leur avenir. Les avis sont très tranchés, les camps bien installés et les chances de faire bouger les lignes très minces.

Même questionnement dans l’éditorial du Télégramme de Brest. Il ne vous viendrait évidemment pas à l'idée d'engager le débat sur l'existence du Père Noël, en présence des enfants. Eh bien, gardez-vous également de citer Emmanuel Macron, même s'il n'a rien à voir avec le Père Noël. Si l'on en croit les sondages, il existe encore quelques Français pour apprécier la personnalité et l'action de notre jeune président. Il n'y a donc pas de raison pour que cette minorité convaincue ne soit pas représentée autour de votre table. Le repas du réveillon de Noël sera animé, conclut le Journal de la Haute-Marne. Il y aura les pour, les contre et ceux qui ne se prononcent pas. Ceux qui sont sûrs de, ceux qui attendent de voir et ceux qui n'ont jamais de position vraiment tranchée. Discussions enflammées à prévoir.

L’Algérie dans le doute

Les journaux français commentent également les derniers événements en Algérie, la mort du chef d’état-Major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah. Le système perd son gardien, titre Le Figaro. Alors que Libération parle de l’homme de l’ombre qui a précipité la chute de Bouteflika, dernier symbole d’un système critiqué par la contestation populaire. Le régime algérien en plein doute, d’après La Croix. Avec un sens involontaire de la dramaturgie, écrit Sud-Ouest, le général Gaïd Salah a tiré sa révérence. Et même si le nouveau président civil est déjà contesté, le défunt général aura empêché que se prolonge le vide du pouvoir né il y a dix mois du refus d'un cinquième mandat d'Abdelaziz Bouteflika.

Habitué à tirer les ficelles du pouvoir, peut-on lire dans les Dernières Nouvelles d'Alsace, le général n'avait pas prévu de quitter si vite la scène algérienne, pour laisser la suite du spectacle s'écrire sans lui. Quel contretemps dans les plans d'un ambitieux et calculateur. Il se flattait d'être faiseur d'intrigues et défaiseur de carrières. D'être maître du temps et du pays. Et voilà que Gaïd Salah tire sa révérence sans pouvoir jouir davantage de l'impopularité d'un Tebboune téléguidé, ni continuer à manœuvrer un système taillé pour saigner l'économie.

Personne n’est dupe

À lire aussi dans le presse, plusieurs analyses après le verdict en Arabie Saoudite. 5 saoudiens ont été condamnés à mort pour le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. « Elle est bien pratique la peine de mort dans les régimes autoritaires ! », ironise le Républicain Lorrain. Elle vise parfois les minorités ethniques et/ou sexuelles. Régulièrement, elle est aussi choisie pour montrer combien le régime est soucieux de réprimer les pires crimes avec sévérité. Enfin, elle s'abat très souvent sur les opposants. Dans l'affaire Khashoggi, personne n'est dupe. La justice confirme très opportunément que l'opération a été conçue « par des éléments hors de contrôle des services de renseignement saoudiens », à l'insu de Mohammed Ben Salman. Même analyse dans la Charente Libre. Les suspects les plus proches du prince héritier officiellement « pas informé » de cette « opération non autorisée », ont été blanchis. Dans une totale indifférence diplomatique internationale.

Processus de domestication

Pour terminer, une fable politico-canine dans Libération, qui publie son troisième Libé des animaux. « C'était le 12 décembre et Boris Johnson tweetait une photo de lui avec son chien, à peine sorti de son bureau de vote au Royaume-Uni. Son rival travailliste, Jeremy Corbyn, répliquait aussitôt avec son propre corniaud. On dira que le chien, en l'espèce, humanise l'homme politique. Il lui confère l'empathie et l'intégrité que les électeurs souvent lui dénient. Le processus de domestication a atteint dans nos pays dits développés des sommets. »

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