RFI : Les responsabilités ne sont pas encore clairement établies dans le massacre d’Ogossagou, mais certains pointent du doigt la milice dogon Dan Nam Ambassagou, qui dément, elle toute responsabilité. Qui sont ces miliciens de Dan Nam Ambassagou ?
Adam Thiam : Dan Nam Ambassagou est une association crée en 2016 dans le sillage de l’opération Seno - vous vous rappelez, cette campagne des forces armées malienne qui était envoyée à l’époque dans le plateau dogon, pour ratisser, parce que les activités jihadistes y devenaient fréquentes. L’armée s’est alors appuyée sur des éclaireurs locaux dont le fameux Théodore Somboro, ex-conseiller municipal et dozo réputé pour son courage. Somboro est assassiné le 13 octobre 2016, mais Dan Nam Ambassagou naitra dans les semaines qui suivent. Ce sont les milices traditionnelles - donc les dozos - qui protégeaient l’environnement, la forêt, etc… qui ont pris les armes simplement pour défendre leur communauté, les dogons, officiellement contre actions terroristes.
Mais est-ce qu’on a d’autres milices sur le terrain, soit d’autres milices qui sont liées à cette communauté dogon, soit des milices qui sont liées à d’autres communautés notamment les Peuls ?
Il y a pas mal de groupes armés sur le terrain qui se définissent tous comme des groupes d’autodéfense. Côté peul, il y a deux groupes connus. Dan Nam Ambassagou reste pourtant la milice la plus connue, la plus redoutée et la mieux équipée du Centre. Côté dogon je n’en connais pas d’autre, elles ont presque tous fusionné dans Dan Nam Ambassagou.
Et quel est le comportement de ces groupes armés sur le terrain, est-ce qu’on n’est pas en train d’assister à une sorte de spirale de la vengeance, une attaque répondant à une autre ?
C’est certain, Ogossagou est le pic d’un cycle de violence et de représailles qui a commencé depuis 2016. Les Peuls en sont les principales victimes parce que Dan Nam Ambassagou est véritablement une armée, mais les Dogons aussi ont souffert de cette violence. Ogossagou est sans doute une échelle inédite sur ce Richter de l’horreur, mais je ne crois pas vraiment que nous en sommes à une décision irréversible de nettoyage ethnique. Je ne pense pas que le capital social de la région soit entamé durablement et je pense que les liens entre les ethnies qui sont le fruit de plusieurs siècles de compromis et des communautés qui ont en plus un partage, un islam soufi, vont finir par prévaloir.
Est-ce que vous pensez justement que le désarmement de Dan Nam Ambassagou qui a été annoncé par les autorités peut avoir plus de succès que les précédents désarmements annoncés… comme celui qui avait été proclamé en 2018 ?
Si l’État le veut réellement, si la volonté politique est réelle, oui.
Et pour vous cette volonté politique, elle existe ?
Je pense qu’elle vient un peu tard, mais les deux visites du président, la décision de dissoudre Dan Nam Ambassagou, la décision de désarmer les milices, me paraissent être des signes qu’une volonté politique existe. Elle est nouvelle, elle est peut-être tardive, il faut voir ce qu’elle va donner sur le terrain, mais je pense que la mesure de la gravité de ce que nous vivons au Centre du Mali est désormais prise.
Est-ce que d’ailleurs à ce sujet, vous avez le sentiment que les plus hautes-autorités ont condamné dans des termes suffisamment clairs, l’amalgame entre la communauté peule et les jihadistes du Macina ?
Non, je pense que ça doit être encore fait : il faut que ce soit clair pour tout le monde, que les Peuls sont aussi les victimes du jihadisme. Dans le cercle de Douentza, il y a une dizaine de jours que plusieurs villages ont basculé dans l’administration des jihadistes, après une dizaine de mois de résistance. Ils ont signalé ce dont ils souffraient à l’armée, au commandant de cercle (l’équivalent d’un préfet), ils n’ont jamais reçu d’aide et depuis une dizaine de jours, les femmes de ces localités sont obligées de mettre le voile ou la burqa.
Est-ce que limoger et punir les chefs d’état-major de l’armée, comme ça a été le cas dimanche, peut changer quelque chose à ce qui se passe dans le centre du Mali ?
Alors il y a une décision politique qui devait être prise, et ça passait par là. Mais il y a aussi sans aucun doute le fait qu’une telle facilité de tuer incrimine forcément l’état-major, aussi bien au niveau national qu’au niveau régional. Alors je pense effectivement que ça ne peut pas se limiter seulement à ceux qui sont partis, il faut qu’au Centre du Mali soit déployée une hiérarchie qui insiste pour que les troupes respectent les droits constitutionnels des communautés, parce que là est le problème.
Quel est le message, et quels sont les actes que vous attendez des autorités pour enrayer la spirale qui est train de se mettre en place dans le centre du Mali ?
Il faut une médiation à mon avis, de haut niveau entre les communautés, il faut que le président de la République prenne en main le dossier du Centre et préside une conférence régionale dont le but sera de ramener la concorde entre les ethnies. Cette conférence permettrait de s’entendre sur un nouveau mode opératoire des forces de sécurités déployées sur le terrain et cette conférence permettrait surtout aux Peuls de pouvoir faire confiance dans l’armée, parce que pour l’instant ce n’est pas le cas.