RFI : Aujourd’hui, les 3 500 victimes de la crise postélectorale et leurs proches savent que les auteurs de ces crimes ne seront peut-être jamais condamnés, ni par la justice ivoirienne ni par la justice internationale. Comment vous réagissez à cela ?
Mamadou Touré : Nous sommes très sensibles à la situation de ces victimes. D’ailleurs, sans attendre forcément la procédure à la Cour pénale internationale, l’Etat de Côte d’Ivoire s’est engagé et a pris beaucoup d’initiatives en faveur des victimes de la crise postélectorale. Plus de 2 000 d’entre elles ont pu être indemnisées et l’Etat de Côte d’Ivoire continuera à amplifier ses actions pour soulager et soutenir ces victimes.
Après cet acquittement, les victimes expriment leur douleur, tandis que les partisans de Laurent Gbagbo clament leur joie dans les rues d’Abidjan. Est-ce que la Côte d’Ivoire est coupée en deux ?
La volonté du président Alassane Ouattara est de réconcilier la Côte d’Ivoire, en tenant compte de la justice, en tenant compte de la réparation des victimes.
Après son acquittement, est-ce que vous ne craignez pas que Laurent Gbagbo, l’homme qui a été injustement accusé, ne gagne en popularité dans l’opinion ivoirienne ?
Cela n’est pas notre préoccupation. Laurent Gbagbo est un homme politique. Aujourd’hui, la préoccupation à notre niveau, c’est de continuer d’agir, non seulement pour soulager les victimes, mais continuer sur notre lancée, en allant dans le sens de la consolidation de la paix et de la cohésion sociale, tel que voulu par le président Alassane Ouattara, et à amplifier nos actions de développement en faveur des populations, notamment les plus vulnérables.
Et le jour où Laurent Gbagbo rentrera en Côte d’Ivoire, est-ce que vous ne craignez pas une grande démonstration de force ?
Nous n’en sommes pas là, aujourd’hui. Ce que nous savons, c’est que Laurent Gbagbo sera probablement en Belgique, puisque la Belgique a accepté de le recevoir. Il sera en Belgique pour rejoindre sa seconde épouse et son fils. Tout retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire sera certainement discuté avec le président de la République Alassane Ouattara.
C’est-à-dire qu’aujourd’hui vous nous confirmez que la Belgique a donné son accord pour accueillir Laurent Gbagbo ?
Oui, la Belgique a donné son accord pour accueillir Laurent Gbagbo, compte tenu du fait qu’il y a sa seconde épouse, Nady Bamba, et son fils.
Et il en va de même pour Charles Blé Goudé ?
Selon les informations que nous avons, autant la Belgique a donné son accord pour Laurent Gbagbo, la Belgique a refusé d’accueillir Charles Blé Goudé.
Et en ce qui concerne Laurent Gbagbo, cela veut dire qu’il pourrait arriver à Bruxelles dans les heures qui viennent ?
Je ne sais pas, tout dépendra des procédures à leur niveau. Mais ce qui est important de retenir, c’est que, la Belgique a donné son accord pour le recevoir. Et tout retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire sera envisagé à partir de discussions avec le président de la République.
C’est-à-dire que la Côte d’Ivoire envisage aussi de donner son accord à Laurent Gbagbo pour un retour plus tard ? C’est cela ?
Ce que nous disons, c’est que, la discussion autour du retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire se fera avec le président de la République de Côte d’Ivoire.
Dans le cadre d’une négociation ?
Cela se fera avec des discussions avec le chef de l’Etat, qui est aujourd’hui le premier responsable de ce pays. Donc toutes les questions relatives à son retour en Côte d’Ivoire feront l’objet d’échanges, de discussions, avec le président Alassane Ouattara.
En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a été condamné il y a quelque temps à vingt ans de prison pour le « braquage » de la BCEAO, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest. Est-ce qu’il risque la prison, s’il rentre ?
Cela relève de la justice de notre pays, qui devra faire son travail. Donc nous n’avons pas de commentaires particuliers par rapport aux procédures de justice.
Laurent Gbagbo est-il couvert par l’amnistie prononcée par le président le 6 août dernier ?
A ce stade, non. Mais toute demande d’amnistie du président Laurent Gbagbo relève du pouvoir discrétionnaire du président de la République, Son Excellence monsieur Alassane Ouattara.
C’est-à-dire qu’en plus de l’amnistie du 6 août dernier, il peut y avoir une nouvelle amnistie ?
L’amnistie du 6 août dernier ne prenait pas en compte Laurent Gbagbo, qui était déjà en procédure à la CPI. Maintenant, la loi d’amnistie relève du pouvoir discrétionnaire du président.
Depuis deux jours, tous les cadres du FPI disent que le jour où il rentrera, Laurent Gbagbo sera dans une démarche de réconciliation. Est-ce que vous y croyez ?
C’est ce que nous souhaitons. Le président Alassane Ouattara a pris beaucoup d’initiatives en faveur de la réconciliation, a pris beaucoup d’initiatives en faveur de la cohésion sociale. Comme l’a dit le communiqué du gouvernement, nous souhaitons que les différentes décisions qui sont prises aujourd’hui concourent à la consolidation de ce que le président Ouattara a contribué.
Quand le FPI demande, avant le rendez-vous électoral de 2020, une remise à plat des institutions, comme le Conseil constitutionnel, comme la Commission électorale, qu’est-ce que vous répondez ?
Nous ne sommes pas un pays en crise. Nous sommes un pays qui a des institutions qui fonctionnement normalement, un pays qui fait, au niveau économique, la fierté de la sous-région. Il n’y a pas de raison pour que toutes les institutions soient remises en cause. Ceci étant, le chef de l’Etat a donné des orientations claires. Le Premier ministre entamera des discussions avec l’opposition, sur la recomposition de la Commission électorale indépendante, en vue des élections de 2020.
Et après son retour en Côte d’Ivoire, est-ce que vous pensez que Laurent Gbagbo sera plutôt un candidat à la présidentielle de 2020 pour le FPI, son parti, ou est-ce qu’il sera plutôt un sage qui se retirera au village ?
Vous devriez plutôt poser cette question à Laurent Gbagbo. Pour l’heure, au niveau politique, notre agenda c’est le congrès de création du parti RHDP que nous envisageons dans une dizaine de jours, qui devrait nous permettre donc de mobiliser, de rassembler, le maximum d’Ivoiriens autour de l’idéal de paix, de démocratie et de développement.
Mais face à un Laurent Gbagbo requinqué par son acquittement et un Henri Konan Bédié qui vous est, maintenant, ouvertement hostile, est-ce que votre futur parti RHDP ne risque pas de se retrouver isolé ?
Ce que je veux dire, c’est que, vous êtes encore dans la configuration de 2010. Depuis lors, les lignes ont fortement bougé en Côte d’Ivoire et le 26 de ce mois vous le constaterez.
Si Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié se présentent en 2020 beaucoup d’observateurs pensent qu’Alassane Ouattara lui-même devra à nouveau se présenter.
Le président, sur la question, a été clair. Sa volonté c’est de transmettre le pouvoir à une nouvelle génération. Mais ceci étant, il a pris le soin de dire que sa décision finale sera, en 2020, en fonction de l’évolution de la situation en rapport avec la stabilité. Nous nous en tenons à cela.