RDC: le bilan de la journée de vote selon Jason Stearns du Groupe d'étude sur le Congo

Quel bilan peut-on faire de la journée de vote de dimanche 30 décembre en République démocratique du Congo ? Eléments de réponse avec Jason Stearns, directeur du Groupe d'étude sur le Congo, un centre de recherche rattaché à l'université de New York.

RFI : Quel bilan faites-vous de cette journée de vote ?

Jason Stearns : Il est difficile de faire un bilan total parce qu’il y a 21 000 centres de vote dans le pays et donc il est difficile de connaître tout ce qui se passe partout dans le pays. Ce qu’il faut dire c’est que c’est quand même une journée très chaotique. Il y a beaucoup de plaintes de partout.

Il y a des rapports… Avant l’ouverture des bureaux de vote il y a beaucoup de gens qui n’ont pas trouvé leurs noms sur les listes et se sont fâchés. Il y a quelques cas de violence, mais très peu, je pense, jusqu’à maintenant. Mais, quand même, beaucoup de frustration, de colère, de défaillances pendant cette journée de vote, beaucoup de rapports de défaillances qu’on a reçus concernent la machine à voter. Il y a des machines qui n’ont pas marché, qui sont tombées en panne, d’autres perdues, qui n’avaient pas assez de batterie.

Comment l’expliquer ? Je pense que c’est clair. On a introduit cette machine à la hâte. Il y a des machines qui ne sont pas arrivées, qui sont arrivées juste la veille des élections. Il y a des gens qui n’ont pas été formés. Je pense que ce n’est pas une surprise, mais cela souligne, quand même, les risques que la Céni [Commission électorale] a pris.

L’une des autres difficultés qui ont été constatées par les observateurs, c’est notamment que les électeurs ne trouvaient pas leurs noms sur les listes d’électeurs. On sait qu’il y a eu beaucoup, beaucoup de critiques par rapport à ce fichier électoral.

Là, aussi, il faut attendre un peu pour voir les autres bureaux. Parce qu’il y a des dépouillements qu’on commence dans les grandes villes, à Kinshasa, Bukavu, Goma. A Mbuji-Mayi nous avons déjà des résultats dans certains bureaux de vote. Et là, effectivement, comme vous venez dire, le taux de participation est très bas. Mais là, je pense que oui, effectivement, il y a beaucoup de gens qui voulaient participer et qui n’ont pas pu participer parce qu’ils n’ont pas trouvé leurs noms sur les listes. Je pense que beaucoup de gens ont eu cette expérience.

Pourquoi ? Difficile de savoir. Je sais que la liste définitive du bureau de vote est sortie juste avant le vote. Et même là, il y a eu des contestations. Il y a des bureaux de vote qui ont ouvert aujourd’hui, l’Eglise catholique parle de plus de 800 bureaux de vote qui ont ouvert dans des endroits illégaux. Donc dans des endroits où il n’était pas prévu, alors que les gens étaient censés aller voter là où ils sont enrôlés. Comment vous votez si on déménage le bureau de vote la veille du scrutin ? Et donc, je pense que c’est le genre de questions qu’on va commencer à se poser. Encore une fois, il est difficile de trouver des réponses maintenant. Mais effectivement, il y a beaucoup de questions par rapport à cela.

Finalement, il y a eu assez peu de violence. Il y a eu quelques cas, mais par rapport à ce que l’on aurait pu s’attendre, cela aurait pu être beaucoup plus grave que cela. Est-ce que finalement ce n’est pas maintenant que le scrutin ou que les scrutins vont se jouer ?

Pour moi, le scrutin même, la journée des élections, est une étape dans le processus électoral. Après l’annonce finale des résultats, je m’attends quand même à beaucoup de frustrations. Cela dépend, bien sûr, du gagnant, de celui que l’on va proclamer comme gagnant de l’élection présidentielle, surtout.

Comment expliquer la confiance de la Céni pratiquement jusqu’à la dernière seconde, même encore aujourd’hui, ou même la confiance du président Kabila, qui avait promis que ces élections seraient les meilleures qu’ait jamais connu le Congo – c’était il y a quelques jours –, quand finalement les observateurs craignaient tous que la journée de vote soit plutôt chaotique ?

Il faut dire que pendant tout ce processus électoral, la réponse des dirigeants congolais par rapport aux critiques a toujours été de les nier.

Est-ce que les rapports de la Cenco - la mission d’observation de la Conférence épiscopale - ou de la Symocel [Synergie des missions citoyennes d'observation électorale], vont réellement avoir un impact ?

Oui, absolument. Je pense qu’il y a une grande responsabilité, maintenant, qui revient à la Cenco et à la Symocel. Surtout à la Cenco, qui a la plus grande mission d’observation dans le pays – 40 000 observateurs partout dans le pays –, et c’est à la Cenco qu’on va se référer, je pense, après les élections. Donc il y a un grand poids de responsabilité, maintenant, qui pèse sur la Cenco. Qu’est-ce qu’elle va dire ? Est-ce qu’elle va seulement critiquer le processus ou est-ce qu’elle va carrément dire que les résultats ne sont pas légitimes ?

Parce que vous craignez que la crédibilité des résultats sortis des urnes ne soit remise en cause ?

Cela fait maintenant des années que le processus électoral connaît des défaillances. On va de la politisation des institutions électorales aux problèmes techniques, surtout par rapport au fichier électoral qui entache la crédibilité du processus. On parle d’un Etat assez politisé, qui a pu influencer le processus des médias, etc. La crédibilité a été entachée à cause de cela déjà. Mais la crédibilité finale des élections viendra seulement après la proclamation des résultats et si la population n’est pas d’accord avec les résultats. Si la population voit que le processus a été problématique, a eu des défaillances, mais que les résultats sont les bons pour la plupart des gens, ils vont, je pense, accepter les résultats. Si maintenant on proclame celui qui n’a pas reçu beaucoup de votes, là, cela va susciter, je pense, beaucoup de critiques et des contestations.

On a vu le gouvernement congolais, toute cette année, dire qu’il n’avait besoin de personne pour organiser les élections, qu’il serait capable à la fois de les financer et d’assurer la logistique de ce scrutin. Est-ce que ce que l’on a vu hier, un peu partout dans le pays n’est pas finalement une remise en cause, un peu, de cette affirmation ?

Je pense que oui. Ces problèmes logistiques auraient pu quand même être minimisés avec le soutien logistique de la Monusco, qui a quand même la flotte arienne la plus grande dans le pays. Des camions, des voitures, des hélicoptères, etc. Donc pour moi, ce n’est pas compréhensible. A part le fait qu’ils veulent faire de l’ingérence, soi-disant étrangère, un thème politique de dire que le Congo est sous attaque des pays occidentaux. Pour moi, c’est à cause de cela qu’on avait rejeté cela, ce qui est dommage. On aurait pu éviter ces problèmes.

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