L’orthodoxie mondiale au bord du schisme

L’Eglise russe a annoncé qu’elle rompait ses relations avec le patriarcat œcuménique de Constantinople : celui-ci a en effet décidé, le 11 octobre, de reconnaître une Eglise ukrainienne indépendante.

Le 11 octobre, le patriarcat œcuménique de Constantinople a annulé une décision de 1686 qui plaçait l’Eglise d’Ukraine sous la jurisprudence de celle de Moscou. Or, ce patriarcat œcuménique, basé dans le quartier du Phanar, à Istanbul, jouit d’une « primauté d’honneur » sur toutes les Eglises orthodoxes du monde, mais il n’a pas de pouvoirs hiérarchiques ou disciplinaires comparables à ceux du pape dans le catholicisme. Depuis son accession à l’indépendance, en 1991, l’Ukraine est une « ligne de front » où plusieurs Eglises sont en conflit, en écho à l’identité déchirée du pays. L’Eglise russe aligne les plus gros bataillons, avec une quarantaine de diocèses, mais elle est talonnée par l’Eglise ukrainienne du Patriarcat de Kiev, dirigée depuis 1995 par le patriarche Philarète.

L’indépendance ecclésiastique de l’Ukraine est une revendication de toujours des nationalistes, mais elle a pris une plus forte acuité depuis la guerre du Donbass et l’annexion de la Crimée, en 2014. La décision de Constantinople a été saluée comme une victoire politique par nombre d’Ukrainiens. Sur les réseaux sociaux en ébullition, certains proclamaient même : « je suis athée, mais du Patriarcat de Kiev ».

La crise ouverte entre Moscou et Constantinople a des conséquences dans tout le monde orthodoxe, et notamment dans les Balkans

Chaque Eglise se range désormais dans un camp ou dans l’autre. Dans le monde orthodoxe, religion et nationalisme entretiennent des relations étroites et souvent nocives. A côté des Eglises « officielles », canoniquement reconnues, qui assument une dimension nationale, comme celles de Grèce, de Serbie, de Roumanie ou de Bulgarie, il existe des Eglises « dissidentes », qui se réjouissent du « précédent » que pourrait constituer la reconnaissance du droit de l’Ukraine à avoir sa propre Eglise. La première à saluer la décision de Constantinople a été la petite Eglise orthodoxe monténégrine, qui tente d’échapper à la tutelle de la puissante Eglise serbe. Le dossier le plus explosif demeure celui de l’Eglise orthodoxe de Macédoine, qui s’est détachée de l’Eglise serbe en 1967, avec la bénédiction du pouvoir communiste yougoslave de l’époque, soucieux d’affirmer la spécificité nationale des Macédoniens. En 2001, des négociations menées par le patriarcat de Constantinople entre Belgrade et Skopje ont échoué, et le dossier macédonien est bien sûr suivi avec attention par l’Eglise grecque, hostile à tout compromis sur le nom de la Macédoine.

Beaucoup d’Eglises se rangent dans le camp de Moscou, comme les Eglises de Serbie ou de Grèce

En effet, Belgrade est très attaché au maintien du statu quo, et redoute donc ce « précédent ukrainien » que d’autres saluent. Les Eglises de Bulgarie et de Roumanie sont bien plus réservées, voire même divisées sur le dossier ukrainien. Il est vrai ? l’Eglise roumaine est en conflit avec Moscou en Moldavie : certains orthodoxes de ce petit pays reconnaissent le patriarcat de Bucarest, d’autres l’Eglise russe, et le patriarche Kiril de Moscou doit d’ailleurs effectuer une visite très attendue en Moldavie à la fin du mois d’octobre. Un voyage qui vise clairement à défendre le pré carré de l’orthodoxie russe.

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