Crimes non résolus en Bosnie: Bosniaques et Serbes demandent justice

Une grande manifestation est prévue ce samedi à Banja Luka pour exiger la « vérité » sur la mort tragique de deux jeunes gens, assassinés dans des circonstances toujours inconnues. Mais comment expliquer la très forte mobilisation qui se poursuit dans tout le pays depuis le meurtre de David Dragicevic, il y a plus de trois mois ?

David Dragicevic était un étudiant serbe de Bosnie, sauvagement assassiné le 6 mars et dont le corps mutilé a été retrouvé quelques jours plus tard. Un jeune homme de 21 ans sans histoire particulière. Or, depuis le meurtre, la police n’a pas été capable de mener une enquête crédible, multipliant les déclarations contradictoires, ce qui a convaincu une large part de l’opinion qu’elle cherchait à protéger des puissants, des proches du président de la Republika, « l’entité » serbe de Bosnie : Milorad Dodik.

Ce meurtre a donc servi de détonateur à une colère longtemps contenue. Beaucoup de Serbes de Bosnie considèrent que le jeune David aurait pu être leur fils ou leur frère, et dénoncent pêle-mêle l’incompétence de la justice, la corruption des autorités et l’hégémonie de Milorad Dodik et de son parti, qui ont mis l’entité en coupe réglée. Pour obtenir un emploi, pour s’inscrire à l’université, il faut en effet avoir la carte de l’Union des sociaux-démocrates indépendants.

Entre colère et fatalisme

Des élections générales auront lieu en Bosnie-Herzégovine au mois d’octobre, et les nationalistes bosniaques, croates et serbes qui contrôlent le pays depuis son accession à l’indépendance, en 1991, juste à la veille de la guerre, vont très certainement encore une fois remporter la mise, faute d’alternative politique crédible. Les citoyens ne croient plus que les élections puissent apporter de changements, mais la Bosnie-Herzégovine est régulièrement secouée par des mouvements de protestation, comme celui provoqué par le meurtre de David.

Lors de ces mobilisations, les politiciens de tous les camps et de toutes les communautés sont également voués aux gémonies, mais le plus souvent, ces mobilisations retombent au bout de quelques semaines et les citoyens de toutes les communautés, convaincus que tout changement est impossible, prennent massivement la route de l’exode vers l’Europe occidentale. Il est vrai que ces explosions de colère demeurent généralement limitées à une seule des deux « entités » d’une Bosnie-Herzégovine toujours divisée, comme la révolution avortée des plénums, en février 2014, qui n’a touché que la Fédération croato-bosniaque, sans rencontrer d’écho en Republika Srpska.

Une mobilisation qui réunit Bosniaques et Serbes

C’est parce qu’elle mobilise à la fois les Bosniaques et les Serbes que l’événement est exceptionnel. Alors que des rassemblements quotidiens avaient lieu à Banja Luka pour demander justice pour le jeune David, des manifestations ont débuté à Sarajevo, à propos du cas très similaire d’un jeune Bosniaque, Dženan Memić, qui a également trouvé la mort dans des circonstances douteuses il y a deux ans. Là encore, la police et la justice n’ont pas été capables de mener une enquête convaincante. Les pères des deux jeunes hommes, Dalibor Dragicevic et Muriz Memic ont pris la tête de la mobilisation. Une manifestation commune a déjà eu lieu à Sarajevo, avant le grand rassemblement de ce soir à Banja Luka.

Pour les dirigeants du pays, dont le pouvoir repose sur l’exacerbation constante des tensions ethniques, le défi est donc de taille. Pour la première fois, une revendication commune unit Bosniaques et Serbes de Bosnie, les deux communautés réclament d’avoir enfin un Etat et des institutions judiciaires indépendantes et fonctionnelles. La mise en avant acceptée par les deux pères contribue aussi à la popularité de leur cause, malgré l’ostracisme des médias publics, notamment des télévisions. Reste à savoir si l’exigence de justice pourra être satisfaite, mais aussi si la colère qui grandit dans tout le pays pourra trouver un débouché lors des élections d’octobre.

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