L'Europe a-t-elle les moyens de préserver ses intérêts en Iran?

Les États-Unis sont sortis de l'accord sur le nucléaire iranien, il y a tout juste dix jours, conséquence : ils rétablissent leurs sanctions économiques... contre la République islamique, mais aussi contre les entreprises qui y travaillent, notamment européennes. Bruno Le Maire, le ministre français de l'Économie s'exprimait en début de semaine à l'issue d'une rencontre avec les entreprises françaises impliquées en Iran.

Bruno le Maire affiche sa fermeté. Mais est-ce que l'Union européenne peut tenir tête aux États-Unis ?

Déjà, l'Iran a cessé son activité nucléaire en échange des relations commerciales prévues par l'accord ; si ces relations n'existent plus, l'Iran sortira à son tour de l'accord et reprendra son activité nucléaire. Donc pour les signataires, qui continuent de croire dans cet accord, préserver l'activité des entreprises européennes, et préserver la stabilité du Proche-Orient, c'est le même combat.

Alors, première option pour les Européens : négocier avec les États-Unis des exemptions aux sanctions. Pour des entreprises, pour des contrats, pour des canaux de paiement : les cas sont multiples, l'idée c'est d'obtenir des dérogations. Avec un argument : la bonne foi. Rappeler aux Américains que les entreprises, qui ont investi en Iran après 2015, l'ont fait parce qu'il y avait l'accord. Donc, il serait injuste qu'elles deviennent des victimes collatérales de la décision américaine. Clairement, les chances d'obtenir ces exemptions sont faibles.

Les sanctions américaines prendront effet début août pour l'automobile, début novembre pour le pétrole ou le gaz : les diplomates tentent également d'obtenir des prolongations.

Et surtout, l'étape d'après, c'est de contourner les sanctions américaines. Et pour cela David, il existe plusieurs possibilités...

À ce stade, ce ne sont que des pistes. La première, c'est d'adapter un règlement européen qui date de 1996, à l'époque c'était pour contourner l'embargo américain sur Cuba. La deuxième, c'est d'éviter les outils américains : le dollar, les systèmes de transferts de fonds, les moyens de communication... L'objectif, là, c'est d'assurer techniquement l'indépendance européenne en matière de financement. Ce qui veut dire inventer de nouveaux mécanismes, au sein de la Banque européenne d'investissement ou en créant de toute pièce un nouvel organe.

Et ça, cela rendrait inopérantes les sanctions américaines ?

Dans tous les cas, ça ne se fera pas dans le dos de Washington. Or, pour les entreprises françaises et européennes, le marché américain est plus important que le marché iranien, donc ce sont les entreprises elles-mêmes qui vont vouloir ne prendre aucun risque. Total, qui a investi dans un projet gazier en Iran, a déjà averti : sauf dérogation explicite des Américains, le groupe préfère quitter l'Iran plutôt que de se fâcher avec Washington. Or ce sont les chefs d'entreprises qui décident, pas les politiques. Alors Bercy a demandé à la soixantaine d'entreprises françaises impliquée en Iran de ne pas prendre de décision, pas avant l'issue des négociations, mais on comprend qu'il va être difficile de se lancer dans un bras de fer avec Washington. D'ailleurs, le président français Emmanuel Macron a déjà écarté l'hypothèse d'une guerre commerciale et de représailles contre les entreprises américaines. Du coup, la marge de manoeuvre des Européens semble assez mince.

Et pourquoi parlez-vous uniquement de l'Union européenne ? La Russie et la Chine sont aussi signataires de l'accord sur le nucléaire iranien, elles ont le même problème...

Pas vraiment, parce que leurs entreprises, qui sont souvent contrôlées par l'Etat, sont nettement moins exposées sur le marché américain. Se fâcher avec Washington serait donc moins problématique... En fait, cette situation devient même une belle opportunité pour les entreprises russes et chinoises, parce qu'elles pourraient prendre la place des entreprises européennes. Exemple : si Total quitte l'Iran, on sait déjà que c'est son partenaire chinois CNPC qui récupèrera ses parts...

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