Endosser l’héritage patrimonial d’un père n’est pas un exercice facile. Seun Kuti ne veut pas et ne peut pas tenir le même langage. Les temps ont changé, les enjeux aussi. Il est donc impératif de s’adresser au monde avec les mots d’aujourd’hui. Chacune des chansons qui composent l’album Black Times est un pamphlet contre les dérives autoritaires de nombreux dirigeants de la planète. Son combat pour la libération de l’esprit africain dans le monde ressemble tristement aux luttes du passé quand, il y a 50 ans, le soulèvement du peuple noir devenait réalité. Dans ce cas, peut-on et doit-on comparer la rébellion d’hier et celle d’aujourd’hui ?
Si vous écoutez attentivement les paroles des nouvelles chansons signées Seun Kuti, vous entendrez des noms qui vous sont familiers : Kwame Nkrumah, Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Marcus Garvey et, bien évidemment, Fela Anikulapo Kuti, des personnalités historiques qui, par leur militantisme, ont bousculé les consciences. Bien qu’il cherche à inscrire son propos dans le XXIe siècle, Seun Kuti met en relief les enseignements de ses aînés comme porte-étendard d’une lutte qui semble ne jamais pouvoir s’achever. Son insoumission doit pourtant refléter les soubresauts actuels. Il fait alors appel à des accompagnateurs aguerris qui sauront traduire sa colère par des harmonies et rythmes rageurs.
L’un d’eux s’appelle Carlos Santana. Le célèbre guitariste mexicain valide les choix artistiques du trublion nigérian en faisant étinceler sa maestria sur le titre phare de l’album. Ce n’est pas la première fois que Seun Kuti sollicite quelques étoiles scintillantes à ses côtés. On se souvient de Lauryn Hill à la Villette à Paris en septembre 2016 ou encore Roy Ayers et Tony Allen à Marseille en juillet 2017. Ce concert-là fut d’ailleurs un événement. Il réunissait des musiciens ayant participé autrefois à l’épopée de Fela Kuti. Seun Kuti en garde un souvenir ému car l’esprit du « Black President » semblait planer au-dessus de cette performance unique. Pour autant, Seun Kuti ne veut pas se servir de l’image du père, fusse-t-il très charismatique, pour affirmer ses convictions.
Regarder Seun Kuti mener avec détermination une carrière solide et digne est plutôt réjouissant. Cela nous prouve que l’expérience tempère les ardeurs d’un artiste trop fougueux qui, jadis, donnait l’impression de se perdre dans des postures caricaturales. Seun Kuti est aujourd’hui un jeune père qui pose davantage ses mots pour que son message profite aux générations futures. Sa pensée a forcément évolué et embrasse les leçons de tous ceux qui lui ont montré la voie. Il comprend désormais mieux que quiconque le rôle des anciens dans le parcours d’une vie.