Le défilé du 1er-Mai hier à Paris a été marqué par de violents affrontements. Ils étaient 1 200, vêtus de noir, le visage masqué, lunettes de protection, masques à gaz et certains armés de cocktails Molotov. Ces « Black Blocs », comme on les appelle, ces militants de l’ultra-gauche, autonomes et autres anarchistes, « ont pris d’emblée la tête du cortège, raconte Le Parisien, avec la volonté d’en découdre. Difficile de douter de leurs intentions quand leurs banderoles proclamaient "Marx Attack", "Premiers de cordée, premiers guillotinés", ou encore "Risques à l’ordre public". (…) 15h45, poursuit Le Parisien. Les Black Blocs passent à l’action. Sur le pont d’Austerlitz, des fumigènes sont allumés, des explosions de pétards résonnent. Le McDo situé en bas du boulevard de l’hôpital est pris d’assaut. Les pavés volent. A coup de pied ou de barres de fer, les vitres explosent. (…) Pas un policier à l’horizon. »
Les CRS interviendront une demi-heure plus tard. Les Black Blocs sont dispersés, 200 d’entre eux seront interpellés. « Y'en a ras le bol, hurle à la cantonade un militant CGT, rapporte encore Le Parisien. Comme d’habitude, on ne va parler que de ça. A se demander si ce n’est pas l’objectif de laisser la manifestation dégénérer. »
Discréditer le mouvement syndical ?
Et en effet, la presse s’interroge ce matin.
« Gérard Collomb, d’ordinaire assez ferme, a été un peu léger sur ce coup-là, relève L’Est républicain. Manque d’anticipation ou bien choix délibéré ? On savait que ces individus violents étaient annoncés. La tactique choisie a été d’intervenir en réaction aux attaques des Black Blocs qui s’étaient fondus dans le cortège de manifestants. N’empêche, la vision de ces 1 200 casseurs vêtus de noir sur le pont d’Austerlitz, arborant des banderoles revendicatives, est un sacré défi à l’Etat républicain que veut incarner Emmanuel Macron. »
« C’est à se demander, s’exclame Le Courrier Picard, si les autorités avaient pris la mesure de cette mobilisation et des appels à la violence qui suintaient des communiqués diffusés bien en amont de la manifestation. » « On veut croire, soupire Sud-Ouest, que le pouvoir n’a pas laissé agir ces casseurs avec l’idée de discréditer le mouvement syndical, mais que la police a seulement tardé à intervenir pour éviter qu’il y ait des victimes. »
La République des Pyrénées pour sa part minimise les violences d’hier après-midi : « Il serait utile de souligner que le saccage d’un McDo', d’une concession automobile et les dégradations diverses, certes intolérables, ont été circonscrits durant deux heures à une portion de chaussée de l’ordre de 400 mètres autour du pont d’Austerlitz (pour ceux qui connaissent Paris). On est loin d’une capitale embrasée. »
Incompréhensible indulgence ?
Non ! Il n’empêche, déplore Le Figaro, « l’autorité de l’État, réduite à des communiqués de "ferme condamnation", a été bafouée. Une fois de plus. Voilà des semaines que, s’agace le quotidien de droite, de Notre-Dame-des-Landes à la gare d’Austerlitz, en passant par les universités, des groupuscules narguent et défient un pouvoir qui se montre à leur endroit bien trop pusillanime. Enfants terribles du gauchisme culturel, de la société sans père, de l’autorité déconstruite, de la "défonce", ils n’ont qu’une obsession : "casser du flic" (…) Ces milices ne portent aucune colère sociale, s’exclame encore Le Figaro. Ils ne représentent personne. Et leurs destructions bénéficient jusqu’ici d'une incompréhensible indulgence. »
Qui plus est, pointe L’Alsace, « la résonance médiatique, notamment télévisuelle, donnée à ces événements qui sapent l’autorité de l’État, augmente les risques de prolifération. Il est logique d’exiger de l’exécutif une obligation de résultat. En profiter pour surfer sur une vague populiste n’est pas digne. Et parce que la République ne différencie pas les casseurs des banlieues de ceux des manifs, il est aussi impératif que le gouvernement prenne la mesure de ce danger de propagation. »
Finalement, conclut Le Journal de la Haute-Marne, « le gouvernement ne sort pas gagnant non plus de cette journée. Il n’est pas coupable des agissements de ces accros à la violence sans frein, mais il est responsable du maintien de l’ordre. Or il y a eu défaillance. Grave. »
Macron trop méprisant ?
Et puis attention président !, lancent plusieurs journaux…
Pour La Montagne, « l’absence d’Emmanuel Macron, pendant une semaine qui s’annonçait animée avec le 1er-Mai, le mouvement des cheminots et la marche anti-Macron, cette absence montre le caractère imperturbable de l’exécutif. Mais quand la rue est ainsi prise d’assaut, on ne peut pas être imperturbable, estime La Montagne, au point d’être impassible. »
Nice-Matin renchérit : « Quelques heures avant les violences parisiennes, Emmanuel Macron a commis une erreur en traitant par le mépris les critiques sur sa présence en Australie alors que la France traverse une crise sociale. Attention, la frontière entre la confiance et l'excès de confiance est parfois ténue. »
L’héritage de Mai-68 approuvé par les Français
C’est dans ce contexte social tendu, que le débat sur Mai-68 se poursuit…
Cinquante ans après, un sondage Viavoice, réalisé pour Libération, indique que Mai-68 ne divise plus les Français. En effet, « 70% des sondés jugent positivement l’héritage, et donc l’impact sur la société, de cette révolte étudiante devenue grève générale ouvrière. Mais, relève aussi Libération, alors que le mouvement social peine à dépasser la succession des luttes catégorielles pour faire boule de neige et que la structure de la société a largement évolué en un demi-siècle, 60% des Français doutent qu’un mouvement similaire puisse voir le jour dans la France de Macron. »
Libération profite de ce sondage pour redorer le blason soixante-huitard : « Alors même que les nouveaux conservateurs squattent les studios, les colloques, les Unes des magazines, en clamant partout que la doxa soixante-huitarde les empêche de parler, penseurs dominants travestis en dissidents, surfant sur la droitisation de la société dont ils sont les coryphées éperdus, l’opinion des Français les contredit avec éclat, s’exclame Libération : pour le peuple dont ils se réclament à grands cris, Mai-68 a été un événement positif pour la France. Aux deux tiers, l’opinion veut en préserver les acquis et en aucun cas en rejeter l’héritage prétendument "impossible", et encore moins revenir aux valeurs archaïques qui prévalaient avant son irruption. C’est qu’en dépit de la vague réactionnaire qui déferle, l’événement parle de lui-même, souligne encore Libération, pour peu qu’on dissipe les fumées de l’idéologie et qu’on le rende à sa vérité. Mai-68 fut, d’abord, une libération, une brèche, une ouverture dont l’éclat brille comme un soleil de printemps. »