La Françafrique, on le sait, est un système d’influence qui repose sur l’obtention de juteux marchés au profit de la France en échange d’une protection accordée à des chefs d’Etat africains, souvent corrompus. Ne connaît-il pas une forme de survivance lorsqu’un puissant industriel français, Vincent Bolloré, garantit une sorte d’immunité médiatique à Faure Gnassingbé, le président du Togo, avec lequel il est en affaires ?
C’est en effet Havas, l’agence contrôlée par Bolloré qui a assuré la campagne électorale du chef d’Etat togolais, c’est encore Bolloré qui a obtenu la concession du port de Lomé et qui compte sur le Togo pour étendre sa boucle ferroviaire dans l’Ouest africain en échange d’une salle Olympia ou de zones d’accès à l’internet haut débit. Autant de liens d’affaires qui pour Vincent Bolloré valent bien quelques concessions, non pas portuaires, mais médiatiques.
C’est pour ne pas l’avoir compris que, selon le site Les Jours, François Deplanck, le numéro 2 de Canal+ International et sa programmatrice ont été limogés. Leur crime ? Avoir laissé passer dans l’Effet Papillon, une émission d’information sur Canal+ Afrique, un reportage sur les manifestations anti-Gnassingbé, sur la répression du régime et les coupures d’Internet à Lomé, malgré la décision du groupe de ne plus proposer ce reportage sur aucune plateforme de Canal+ ou Vivendi.
Ce reportage est donc aujourd’hui visible sur YouTube, mais pas sur Dailymotion, contrôlée par Bolloré. Il a été rediffusé par erreur auprès des 2,7 millions d’abonnés de Canal+ Afrique, malgré la censure dont il était frappé et dont Vincent Bolloré est coutumier depuis l’annulation d’un documentaire sur le Crédit Mutuel en 2015. A la censure succède l’autocensure puisque, comme dit un journaliste de la chaîne cité par RSF, la rédaction comprend qu’elle ne doit parler ni de la banque, ni des riches, ni de l’Afrique. Et ce n’est pas le semblant de comité d’éthique de Canal+ qui peut changer cet état de fait.
Pour tout groupe média qui s’implante en Afrique, il importe ainsi de clarifier ses liens d’affaires dans les pays concernés. L’information, le média, sont-ils des finalités ou des moyens d’accéder à des marchés ? Le groupe M6 qui vient d’annoncer son intention de se développer en Côte d’Ivoire en prenant le tiers du capital d’une future chaine de la TNT, Life TV, opérée par le groupe Voodoo de Fabrice Sawegnon, ne pourra pas couper à cette question. Certes, il ne dépend pas de marchés extérieurs à l’audiovisuel, mais M6 est connue en France pour s’interdire tout reportage, toute émission qui puisse gêner ses clients annonceurs.