Edouard Du Penhoat : Il y a deux mois, les peuples africains vibraient à l’unisson, après l’invalidation, par la Cour suprême du Kenya, de la réélection du chef de l’Etat sortant, Uhuru Kenyatta. Tous saluaient alors une grande avancée démocratique, la fin de l’impunité, en matière de fraude électorale. Le nouveau scrutin, ordonné par la Cour, a donné lieu, ce 26 octobre, au pire cauchemar démocratique qui soit. Comment expliquer que l’on soit passé, en moins de deux mois, d’une impressionnante avancée à un tel recul ?
Pour qu’il en soit ainsi, il a nécessairement fallu que l’une ou l’autre des deux parties n’ait pas joué sincèrement le jeu de la démocratie. A moins que ce ne soient les deux. C’est triste pour le Kenya. Triste pour l’Afrique. Il nous revient à la mémoire les colonnes d’apothéoses dressées à la gloire de la démocratie kényane, le 1er septembre dernier. Un analyste, connu pour ses brillantes contributions dans les pages internationales du New York Times, soutenait que le Kenya avait, définitivement, gagné en maturité démocratique. Robert Godec, l’ambassadeur des Etats-Unis, parlait même d’un « moment important » pour le Kenya, et appelait à une nouvelle élection « libre, équitable, crédible et pacifique ».
Tous doivent se sentir, aujourd’hui, quelque peu floués. Une telle douche froide, alors qu’ils croyaient le Kenya entré dans une nouvelle ère démocratique !
voilà l’Afrique, se révélant à nouveau comme le continent du pire… et du meilleur. Le meilleur, c’était le 1er septembre 2017, avec cette grande première dans l’histoire de l’Afrique indépendante. Le 8 août, près de 77 % de Kényans s’étaient rendus aux urnes. Ce 26 octobre, la participation était de… 34 % ! Un désastre démocratique ! L’appel au boycott de Raïla Odinga a été suivi, au-delà de ses propres espérances.
D’aucuns pourraient dire que c’est lui qui n’a pas joué le jeu…
Oui, parce que d’aucuns soutiennent toujours qu’une démocratie approximative vaut mieux que pas de démocratie, du tout. Mais ce ne devrait pas être cela, le respect des électeurs. A l’évidence, le camp présidentiel et une partie de la Commission électorale ne voulaient pas que soient corrigées toutes les anomalies qui ont justifié l’arrêt historique de la Cour Suprême, le 1er septembre. Au lieu de cela, ils se sont employés à peser sur la composition de certaines institutions, juste pour se mettre à l’abri d’une nouvelle invalidation. Comme si ces manœuvres étaient plus importantes que des élections claires et transparentes, crédibles et sans bavure. Et c’est cela, hélas !, l’Afrique du pire, qui contrarie les avancées historiques, et provoque des reculs brusques, et même, parfois, violents.
Raïla Odinga n’aurait-il pas dû accepter les petites évolutions offertes par la Commission électorale, au lieu de s’arc-bouter sur ce qu’il n’a pas obtenu ?
Il n’est pas convenable de demander à un leader politique ou à un peuple autre que le sien d’accepter le peu que consentent à lui concéder ceux qui détiennent le pouvoir dans son pays. Surtout lorsque ces concessions sont dosées, justement, pour empêcher un jeu électoral clair, juste et crédible. Une démocratie sincère ne saurait se limiter à des concessions décidées par ceux qui sont au pouvoir.
Aucun médiateur, africain, de surcroît, ne peut décemment demander à un peuple de se contenter d’une démocratie approximative, soi-disant au nom de la paix. Car c’est justement cela qui compromet les chances d’une paix durable. Trop de médiateurs africains demandent à des Africains d’autres pays d’accepter, chez eux, des conditions injustes, contraires à la démocratie, au nom de la paix, soi-disant… Vous souvenez-vous des propositions qu’un chef d’Etat ouest-africain était allé porter au peuple burkinabè, alors que le pays était en bute au coup d’Etat alors assumé par le général Gilbert Diendjéré ? Chérif Sy, le président du parlement de transition, était courageusement entré en résistance, et le chef de l’Etat par intérim était détenu par les putschistes. C’est alors que le chef d’Etat en question, regardant les Burkinabè droit dans les yeux, leur a suggéré d’accepter, en quelque sorte, un partage du pouvoir avec les putschistes. Ce qui serait revenu à entériner le coup d’Etat. C’était inacceptable, et le peuple burkinabè ne l’a pas accepté. Au lever du soleil, les Burkinabè sont sortis en masse pour rejeter et le médiateur et la médiation.
Ceux qui font référence au Burkina à chaque soubresaut dans la vie politique de leur propre pays n’intègrent pas assez la part de courage physique qu’il a fallu… aux Burkinabè, justement !