Des visages en sang, des cris et des larmes : ces images d’interventions policières sur tous les écrans télés d’Europe choquent. C’était le premier octobre dernier, jour du référendum catalan. Ce soir-là, la pression est intense sur les épaules de Mariano Rajoy. Ses paroles sont attendues comme jamais.
Eternelle barbe poivre et sel, lunettes rectangulaires, le dirigeant espagnol s’exprime pourtant sur un ton plat, presque monotone, comme si de rien n’était. « Aujourd’hui, il n’y pas eu de référendum d’autodétermination en Catalogne. Aujourd’hui, nous, tous les Espagnols, avons constaté que notre état de droit conserve sa force et son bien-fondé, qu’il répond à ceux qui le contestent, qu’il est capable de répondre à ce qui veulent le subvertir, qu’il actionne tous les recours légaux à sa disposition face à n’importe quelle provocation et qu’il le fait avec efficacité et légitimité », affirme-t-il.
Mariano Rajoy reste ce Premier ministre au charisme hésitant. Barbara Loyer, chercheure à l’université Paris VIII-Saint-Denis, rappelle que « Mariano Rajoy depuis le début a conservé un ton modéré. Il n’y a jamais eu d’appel à l’émotion des masses en Espagne, il n’y a jamais eu d’appel aux électeurs, il n’y a jamais eu de discours enflammé sur la fracture de l’Etat ». Bref, le leader conservateur est fidèle à « sa ligne de conduite depuis le début ».
Conservateur des hypothèques
Son style est académique et sa lecture du conflit est juridique. Conservateur des hypothèques de profession, il est surnommé ainsi par une partie de la presse espagnole. C’est la clé de sa manière d’agir d’après Gabriel Colomé, professeur de sciences politiques à l’université autonome de Barcelone. Le chercheur souligne que le responsable politique « vient du monde du droit. Lui, il part toujours de l’idée "tout dans la loi, rien sans la loi". C’est-à-dire que les problèmes sont toujours réglés à travers la loi, le droit. C’est-à-dire qu’il n’applique pas les émotions, il applique le Code civil, le Code pénal, la Constitution… ».
A ses yeux, Mariano Rajoy fait plus partie des obstacles que de la solution. « Il y a deux problèmes en ce moment. Ils s’appellent Mariano Rajoy et Carles Puigdemont. A leur manière, les deux se ressemblent parce qu’il est très difficile qu’ils puissent négocier parce qu’ils veulent gagner 5-0. Et c’est très difficile quand il y a un conflit ».
Un manque d'anticipation
Pour l’eurodéputé de droite (LR) Philippe Juvin, le Premier ministre espagnol est obstiné, pointilleux et pas assez politique : ce qu’on peut lui reprocher « en particulier c’est de ne pas avoir su voir venir la crise catalane. C’est là qu’il aurait pu faire plus de politique. Ecouter, manœuvrer, dialoguer, s’offrir les services de médiateurs… Là il aurait pu peut-être éviter à l’Espagne cette crise. Une fois que la crise arrive, il est dans son rôle et il a fait bien le job. Il aurait été - entre guillemets - compréhensif vis-à-vis des Catalans après le référendum, ça aurait été une preuve de faiblesse et l’histoire l’aurait jugé durement ».
Arrivé au pouvoir après la crise économique, l’ennuyeux Rajoy était alors pour l’Espagne une figure rassurante. Droit dans ses bottes, il apparaît aujourd’hui comme un gestionnaire sur la défensive.