Isatou Jarjue fait avancer sa pirogue bleu ciel sur la rivière. Avec ses collègues, elles vont inspecter les mangroves. C’est sur leurs racines que les précieuses huîtres grandissent.
Isatou a appris le métier grâce à ses parents. Mais aujourd’hui, elle l’exerce un peu différemment : « Ici, les ramasseuses vont collecter les huîtres les plus matures. Avant on coupait toute la racine de la mangrove avec, mais ça pouvait entraîner sa mort. Donc aujourd’hui, on prend juste les huîtres qu’on veut, et on laisse le reste vivre. »
Isatou n’en détache qu’une seule, pour nous montrer. Car en dehors de la saison des huîtres, qui s’étend de mars à juin, les femmes de Kartong s’interdisent d’y toucher pour qu’elles puissent se reproduire. Elles ont même convaincu leurs collègues sénégalaises, de l’autre côté de la rivière, de suivre cette règle. Alors hors saison, elles se contentent de ramasser des coques qui se trouvent au fond de l’eau : « Il faut enfoncer ses mains dans le sol. C’est très difficile car il faut rester des heures dans l’eau. Et on est pliées en deux. Des fois, quand on fatigue, on s’assoit dans l’eau comme ça. »
Avec le temps, elles ont appris à prendre soin de cet écosystème qui leur permet de vivre. Les femmes de Kartong sont devenues peu à peu les gardiennes de la mangrove : « On la replante tout le temps, car la mangrove empêche l’érosion, les poissons se nourrissent de leurs feuilles qui se décomposent, et ils pondent aussi à l’intérieur, et les petits grandissent là. »
Chaque femme travaille à son compte, mais peut utiliser le matériel de la coopérative. Pour Fatou Janha, coordinatrice du projet, le fait de s’unir permet à ces ramasseuses d’huîtres de vivre dignement de leur travail : « Elles gagnent plus d’argent, car leurs huîtres ont plus de valeur ajoutée. Et en plus, maintenant, elles sont à la table des décisions. Le gouvernement leur a donné le droit exclusif d’exploiter les fruits de mer sur la zone protégée de Tanbi. Ces femmes sont maintenant capables de gérer leur activité. »
Et selon Jalang Camara, l’assistante financière de l’association, tout a changé quand les travailleuses ont appris à gérer leur argent : « Elles ne connaissaient pas l’importance d’économiser. Aujourd’hui elles ont toutes un compte en banque, elles peuvent mettre de côté, et c’est une grande avancée. »
Pour preuve, aujourd’hui, c’est Isatou qui soutient financièrement sa famille : « On peut payer pour les frais de scolarité, les frais médicaux, les habits … Je suis très fière maintenant. Les femmes ont maintenant du pouvoir ! »
Les femmes du fleuve se lancent désormais dans des fermes d’élevage d’huîtres. Et elles espèrent bientôt décrocher un certificat pour pouvoir exporter leur production.