De notre correspondant à Kiev,
Pendant 14 ans, il n’y avait rien sur le fleuve
Pratiquement rien. L’infrastructure du transport fluvial, les péniches, les ports, les barges de désensablement, sont tombés en décrépitude à la fin de l’époque soviétique. Tout le transport a été redirigé vers la route. Moi personnellement, je n’y ai vu que des bateaux de plaisance et des barques de pêcheurs. Quelques péniches ici ou là, mais toujours sur des distances courtes. Pourtant, le Dniepr fait plus de 2 000 kilomètres de long, c’est l’un des plus importants d’Europe. Et c’est lui qui a justifié la fondation de Kiev comme port de commerce, au IXe siècle. Donc, revoir une barge de transport remonter 300 kilomètres, c’était un évènement en soi.
Pour autant, personne n’avait prévu l’emballement médiatique qui allait accompagner le voyage inaugural à la fin août. Dans les médias, sur les réseaux sociaux, économistes, agriculteurs, politiques se sont tous enthousiasmés, au point de suivre la progression de la péniche au jour le jour. Même le Premier ministre Volodymyr Hroissman en a fait un objet de fierté nationale. Les internautes ont aussi suivi l’aventure avec ironie : une caricature d’Al Pacino, dans le rôle de Scarface, le montre en pleine overdose non pas de cocaïne, mais de pastèques ! Une manière aussi de souligner le trop-plein de cet emballement médiatique.
Pourquoi des pastèques ?
La pastèque, c’est l'une des spécialités de la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine. Chaque été, elle inonde les marchés de tout le pays. Comme beaucoup d’Européens, les Ukrainiens en sont friands. Mais les agriculteurs du sud de l’Ukraine ont beaucoup de soucis à la distribuer : le transport routier coûte de plus en plus cher, et les routes sont notoirement mauvaises. Plus de 10 % des pastèques sont détruites dans le transport. Et beaucoup d’agriculteurs n’essaient même pas ; 30% des pastèques d’Ukraine pourrissent dans des stocks.
L’idée d’un transport en péniche a été rendue possible par un projet de USAID, l’agence américaine pour le développement, qui a financé et coordonné des petits agriculteurs locaux. Ils auraient économisé 40 % par rapport aux autres années grâce à ce mode de transport.
Est-ce une entreprise qui peut se développer dans le temps ?
Ça a l’air tout à fait possible. La société de transport de pastèques prévoit une cinquantaine de voyages cette saison. On parle déjà d’étendre l’offre de transport à d’autres agriculteurs, et à d’autres produits agricoles. Le gouvernement à Kiev semble en faire aussi une priorité, en annonçant qu’un transport fluvial plus intense permettrait des économies de 27 millions d’euros par en réparations de route. Les Ukrainiens tiquent à cette annonce, car beaucoup de routes sont de toutes les manières dans un état déplorable.
Au-delà de l’emballement médiatique, la revitalisation du fleuve Dniepr n’est pas une évidence, tant elle nécessite des actions coordonnées de l’Etat, des collectivités locales, des autorités fluviales, des entreprises. L’hiver arrivera bientôt, et bloquera toute tentative d’utiliser le fleuve. Si on en reparle sérieusement, ce sera alors l’an prochain, au dégel.