Des centaines de personnes ont été tuées lundi en Sierra Leone, emportées par des torrents de boue dans ce qui pourrait être la pire catastrophe naturelle à avoir frappé l’Afrique depuis vingt ans. Le changement climatique est-il la cause de ce drame ?
Jean-Pierre Elong Mbassi : Je crois qu’il y a un faisceau d’éléments qui montrent que le réchauffement de la planète entraîne des manifestations météorologiques et climatiques qui font que les rythmes de saison, les amplitudes de ces saisons, deviennent de plus en plus erratiques. Les gens de Freetown viennent de le vivre dans leur chair et dans leur sang. Cela va empirer.
Il y a aussi et le fait que les villes se construisent sur des sites impropres. Et manifestement, cette croissance urbaine dépasse les capacités d’organisation et de planification de la plupart des défis. Et ça, c’est un drame aussi.
Cette urbanisation galopante a-t-elle joué un rôle dans la catastrophe qui touche Freetown en ce moment. Et si oui, lequel ?
Les villes s’accroissent à un rythme tel qu’on ne sait pas planifier l’arrivée des gens avant qu’ils s’installent. Et comme les gens s’installent là où ils le peuvent, au plus près des possibilités d’emploi. Souvent, ils s’installent sur des sites impropres.
Qu’appelez-vous un « site impropre » ?
Installer une maison sur des terrains en pente qui sont érodables expose cette maison à des risques d’être emportée par les glissements de terrain. C’est ce qui s’est passé à Freetown.
Dans quelle mesure la déforestation massive a-t-elle joué un rôle ?
Dans le cas de Freetown, toutes les pentes, qui auraient dû être des pentes plantées pour éviter que l’érosion soit aussi massive que ce que on a observé, ces pentes étaient occupées par de l’habitat informel.
Au vu de la pluviométrie et de cette géographie même de la ville, cette catastrophe aurait-elle pu être évitée ? Et si oui, comment ?
Je ne pense pas que l’on puisse éviter les catastrophes naturelles, parce que la nature est nettement plus forte que ce que nous pouvons imaginer... Mais on peut éviter les impacts les plus catastrophiques par la prévention, le protocole de Sendaï [Conférence mondiale des Nations Unies sur la Réduction des risques, qui s’est tenue à Sendai, au Japon en mars 2015 et qui a abouti à un accord pour la réduction des risques de catastrophe, NDLR], et voir comment se préparer à ces situations de catastrophes. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de villes africaines qui appliquent les dispositions du protocole de Sendaï.
Quelles sont ces dispositions concrètement ?
La toute première disposition, c’est de poser la question : « A quel risque la ville est exposée ? » Dans le cas de Freetown, manifestement, il y a un risque d’inondation, un risque d’érosion de ce site qui est essentiellement collinaire, et un risque d’érosion côtière.
Et comment se prémunit-on contre ces risques ? Il faut d’abord planifier l’occupation du sol pour diminuer ces risques. Si les pentes des collines avaient été plantées d'arbres, plutôt qu'occupées par l’habitat spontané, probablement que l’impact de la catastrophe aurait été moindre.
On parle de Freetown, du fait de ce drame terrible. Mais d’autres villes africaines sont-elles susceptibles de connaître des catastrophes naturelles équivalentes ?
Les villes côtières ont un inconvénient, c’est qu’elles sont côtières. Donc, parfois, il y a une conjonction d’inondations, de marées hautes et d'érosion côtière. La ville de Cotonou est un exemple. Quand il y a conjonction des trois, alors on a toutes les catastrophes en une. Et la ville ne fonctionne plus : on perd des infrastructures qu’on a mis en place, et la reconstruction devient un problème très grave.
Ces villes existent aujourd’hui. Est-ce qu’il est encore temps de faire quelque chose ? Et quoi, exactement ?
On sait modéliser les risques de catastrophes. On sait que les lits supérieurs des rivières ou des fleuves qui traversent la ville ne doivent pas être occupés par des habitations. On le sait.
On sait que ça arrive tous les dix, vingt ans. Et quand ça arrive, ça emporte tout ce qui est dans le lit supérieur. Donc on peut planifier, et on peut commencer à réorganiser l’occupation du sol en fonction du risque des catastrophes.
Il y a des systèmes d’alerte qu’on aurait pu mettre en place pour que, lorsqu’une catastrophe se déclenche, on sache quoi faire en aval, on sache comment contenir les effets de cette catastrophe. Certaines villes le font. Et quand la catastrophe arrive, on croit qu’on n’aurait pas pu se prémunir et se préparer à cette catastrophe.
Y-a-t-il une responsabilité des autorités publiques ?
Il y a une responsabilité des autorités publiques. Mais il y a une responsabilité des habitants. Parce que les habitants eux-mêmes, s’ils fouillent dans la mémoire de leur famille, ils savent bien que certaines zones sont des zones dangereuses pour l’habitabilité.
Face à la nature, nous ne sommes pas grand-chose. Mais nous pouvons éviter que l’impact des catastrophes naturelles soit si élevé que l’on puisse se demander si nous n’avons jamais eu d’histoire de ces catastrophes.