Festival de Cannes 2017: «Les fantômes d'Ismaël» d'Arnaud Desplechin

Le 70e Festival de Cannes s’est ouvert mercredi lors d’une cérémonie menée par l’actrice Monica Bellucci. Une cérémonie sous le signe du glamour. Les flashs ont crépité lors de la montée des marches des stars américaines Will Smith et Jessica Chastaing, membres du jury de Pedro Almodovar. Mais les principales héroïnes de la soirée étaient Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg, les deux interprètes du film d’ouverture, « Les fantômes d’Ismaël », projeté hors compétition. Sophie Torlotin a pu rencontrer son réalisateur Arnaud Desplechin.

RFI : Arnaud Desplechin, Ismaël (du titre du film) – alias Mathieu Amalric – est un réalisateur perturbé, dans l’écriture de son nouveau film, par le retour de son épouse disparue il y a vingt ans. Et puis il est un peu partagé entre cette épouse qui revient (alias Marion Cotillard ), et sa compagne actuelle : Sylvia, jouée par Charlotte Gainsbourg. Ça, c’est le thème principal de votre film, comme on parlerait d’un thème principal en musique. Mais il y a des fugues, ou je ne sais pas si ce sont des variations puisqu’il y a aussi une histoire d’espionnage ou de diplomatie, un film dans le film, il y a différents thèmes... Comment vous avez voulu tisser ensemble ? C’est plusieurs films dans un film ?

Arnaud Desplechin : Il y a plusieurs films… C’était vraiment le désir de départ comme ça. Les premières notes que j’avais c’était ce réalisateur qui s’enfuit du tournage et qui rêve son film dans un grenier. Il rêve des fragments de film qui sont le portrait de ce diplomate qui est joué par Louis Garrel, dont on ne sait pas si c’est un naïf ou un espion, on ne sait pas si c’est un innocent ou un coupable… Et autour de cette figure indécidable. Déjà il y avait des fragments.

Je n’ai toujours pas le film. Le film est arrivé le jour où Carlotta est arrivée, c’est-à-dire Marion Cotillard, qui arrive et qui vient mettre le désordre dans le couple. Et alors tout d’un coup on avait envie de vous proposer une « furie de fictions », des dizaines de fictions qui viennent se coller les unes aux autres, s’agréger. Alors, ne jamais vous perdre, essayer de vous conduire à travers ce dédale d’histoires et de compresser des histoires - de compresser - de faire une dépense de fictions. Et c’était le projet du film.

Carlotta c’est aussi le nom d’un personnage qu’on ne voit jamais, mais dont on entend parler dans le chef-d’œuvre d’Hitchcock,Vertigo, et vous citez d’ailleurs le thème musical de Vertigo.

C’est le thème musical de Marnie. C’est un piège pour cinéphiles. Il ressemble. C’est le même compositeur, c’est Bernard Herrmann, mais c’est le thème de Marnie qui est joué au piano. Mais effectivement, ce n’est pas un hommage à Hitchcock. C’est qu’il y a une puissance dans le cinéma qui appartient au cinéma et Vertigo en est le drapeau. C’est cette puissance de convoquer les morts, que les morts reviennent. Mais dans ces images tremblotantes sur l’écran, ça nous permet de faire revenir les morts sous forme de fantômes.

Du coup, je ne pouvais pas ne pas appeler mon personnage Carlotta, comme Carlotta Valdez, l’ancêtre de Madeleine dans Vertigo. Plus qu’un hommage, c’est s’inscrire derrière mes maîtres. J’ai toujours aimé avoir des maîtres. Je sais qu’il y a des réalisateurs qui préfèrent être « ni Dieu ni maître ». Moi, j’ai toujours aimé rendre hommage à Truffaut à Hitchcock, à Bergmann, aux cinéastes qui ont fait l’homme que je suis. Et donc bien sûr, il y a des échos entre ce retour de cette femme qui revient d’entre les morts et c’est la Carlotta de mon film.

Dans votre film il y a deux grands personnages féminins : Carlotta, (Marion Cotillard), Silvia (Charlotte Gainsbourg). C’est la première fois que vous les dirigez ? Que vous dirigez deux stars de cette ampleur ? C’était une envie ?

Oui, c’était une envie très vive. Très vive. C’est deux artistes que j’admire depuis longtemps. Les hasards de la vie avaient fait que j’avais croisé le chemin de Marion Cotillard sur Comment je me suis disputé et c’était une autre femme. C’était une très jeune femme. Et puis j’ai le souvenir encore très vif du choc de La Môme quand je l’ai découverte dedans et je me suis dit : cette femme s’invente elle-même. Elle se réinvente, comme artiste.

Et de film en film, je suivais son parcours que je trouvais vertigineux. Elle m’enchantait dans le Woody Allen, elle m’a brisé le cœur dans le film des Dardenne, je la trouvais admirable dans le film de Michael Mann, je la trouvais fascinante en fantôme déjà dans Inception… Et elle n’est jamais là où on l’attend. Il y a une surprise en elle et une vitalité, une puissance de vie, ce qui faisait que c’était parfait pour ce personnage. Et puis elle a un mythe et cette Carlotta c’est un mythe. Que Marion Cotillard c’est un mythe et Carlotta l’est aussi. Alors c’était parfait.

Charlotte Gainsbourg, je crois avoir vu tous ses films ; ce serait bien possible quand même. Et elle sait, ça fait des années que je rêve d’avoir le rôle qui lui convienne, d’avoir le temps, qu’elle soit disponible, puisque c’est une actrice qui tourne beaucoup. Et là je pouvais lui proposer Sylvia, du coup j’étais le plus heureux des hommes. Et ça faisait longtemps que je lui tournais autour.

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