Alors que 56 millions de Turcs doivent se prononcer ce dimanche pour ou contre une nouvelle Constitution qui donne au président Erdogan des pouvoirs renforcés, Can Dundar, journaliste en exil, pointe la passivité des Européens face aux atteintes à l’État de droit et à la liberté de la presse en Turquie par peur d’attiser les tensions migratoires.
Cumhüriyet est particulièrement concerné par cette question de la liberté de la presse puisque 19 membres de sa rédaction sont incarcérés et risquent de 7 ans et demi à 43 ans de prison. Motif : collusion avec des organisations terroristes comme le PKK ou la confrérie Gülen. En réalité, ces journalistes n’en ont jamais fait partie et payent la révélation de la livraison d’armes aux jihadistes syriens par les services secrets turcs en 2015.
Après la tentative de putsch du 15 juillet attribuée au gülénistes, ce type d’arrestations arbitraires se sont multipliées. 40 000 personnes ont été emprisonnées, notamment douze députés d’un parti pro-kurdes (HDP) et 130 000 personnes ont été limogées dont beaucoup d’enseignants et de journalistes. La Turquie est le 151e pays sur 180 en matière de liberté de la presse, selon Reporters sans frontières.
On comprend alors que la démocratie ressemble de plus en plus dans ce pays à un vernis qui ne s’accompagne ni de pluralisme des opinions ni de liberté d’expression. Et pour cause : sept des dix propriétaires des chaînes les plus regardées entretiennent des rapports directs avec Erdogan et son gouvernement.
En février, comme le rappelle Reporters sans frontières, le décret de loi qui imposait le respect des temps de parole en période électorale a été abrogé. Les médias publics consacrent quinze fois plus de temps d’antenne au pouvoir qu’à l’opposition. Une interview d’Orhan Pamuk, le prix Nobel de littérature, réalisé en février pour Hürriyet n’est jamais parue, car l’écrivain se prononçait contre le traité constitutionnel. Et un présentateur de la chaîne Kanal D, du même groupe de presse, a été licencié après avoir expliqué sur Twitter qu’il allait voter « non ». Faut-il s’en étonner alors que Erdogan cherche à museler toute opposition : « Ceux qui diront "non" au référendum se positionneront d’une manière ou d’une autre au côté des putschistes » a-t-il déclaré. La question est aujourd’hui de savoir si la Turquie est une démocrature ou une dictatie.