Dans une campagne électorale décidément pas comme les autres, avec des candidats décidément pas comme les autres, et dans une ambiance où l’intrigue se mêle au soupçon, pas facile de faire un choix, à 38 jours maintenant du premier tour de la présidentielle…
Premier casse-tête, il concerne les électeurs de gauche : « voter Hamon ou Mélenchon au risque de perdre ? Ou bien se résigner à Macron pour éviter Fillon et Le Pen ? Interrogation reprise par Libération en Une, avec ce titre : « le dilemme du vote utile »
« La tentation ferait-elle l’élection ?, s’interroge Libé dans son éditorial. Elle fait en tout cas les sondages. Au cœur même de l’électorat socialiste, et jusque chez les militants et les cadres du PS, le vote Macron attire comme un aimant, constate le journal. Qu’on sacrifie au culte du vote utile ou qu’on trouve le programme de Benoît Hamon trop à gauche, ou trop risqué, on se déclare en tout cas prêt à rompre avec l’ancienne fidélité au vieux parti de François Mitterrand, de Lionel Jospin et de François Hollande. Le centrisme glamour d’Emmanuel Macron séduit un peu par lui-même et, plus souvent, parce qu’il apparaît comme l’antidote le plus crédible à un second tour Fillon-Le Pen. L’intéressé l’a bien compris, pointe Libération, qui se tient avec une minutie maniaque au centre du centre. Tel un zèbre de la politique, alternant teintes libérales et sociales, il s’ingénie à ce que personne ne puisse dire s’il est bleu avec des rayures roses, ou rose avec des rayures bleues. »
« Emmanuel Macron est-il le meilleur rempart contre l’extrême-droite ? », s’interroge Le Télégramme. S’il était qualifié pour le second tour, ce qui est aujourd’hui présenté comme une certitude, les électeurs de Fillon risquent de se reporter en masse sur Le Pen, prévient le quotidien breton. Ils n’en peuvent plus de la gauche et ne voteront pas Macron. La droite républicaine aura alors explosé et une période d’instabilité politique s’ouvrira, d’autant que le FN comme En Marche ! auraient du mal à obtenir une majorité à l’Assemblée. »
« Ca ne passe pas ! »
Ce qui nous amène au casse-tête des électeurs de droite…
Avec le boulet des affaires pour François Fillon : un boulet qui le freine et qui perturbe aussi ses supporters et ses sympathisants. « Le candidat tourne la page et fait assaut d’optimisme », assure Le Figaro. Toutefois, nombre de sympathisants s’interrogent, reconnaît le journal. « Les coups de fil reçus depuis le week-end rue Firmin-Gillot, quartier général du candidat, ou au siège du parti, rue de Vaugirard, sont très critiques. 'Ce qui nous revient le plus souvent, ce sont les costumes. Ça ne passe pas chez nos sympathisants, témoigne un cadre. Autant l’emploi de Penelope Fillon, beaucoup n’y trouvent plus rien à redire. Après tout, elle travaillait. Mais des cadeaux de vêtements, pour ces sommes, c’est incompréhensible pour beaucoup et ça ne passe pas'. »
« On croit rêver ! »
Dans son éditorial, Le Monde sort l’artillerie lourde contre François Fillon et contre Marine Le Pen, qu’il place tous les deux dans le même sac… « Interrogé, lundi, sur les luxueux costumes qui lui ont été offerts par un ami complaisant, il répondait : 'Et alors ?' Mis en examen avant-hier, mardi, pour détournement de fonds publics et recel d'abus de biens sociaux, le candidat des Républicains à l'élection présidentielle a fait marteler un seul message par son équipe de campagne : c'est un 'non-événement'. On croit rêver !, s’exclame Le Monde. La mise en examen d’un candidat majeur en pleine campagne présidentielle est, au contraire, un événement aussi inédit que choquant. Depuis que le chef de l’Etat est élu au suffrage universel, tous les scrutins ont été émaillés d’affaires plus ou moins fondées ou frelatées. Mais jamais au point que la justice estime le dossier assez sérieux pour poursuivre un candidat, à quarante jours du premier tour. »
Et Le Monde de s’en prendre également à Marine Le Pen, donc : « il est vrai qu'en matière de tartufferie, le candidat de la droite est sérieusement concurrencé par la présidente du Front national. Marine Le Pen n’a pas de mots assez ronflants pour fustiger le 'système', dénoncer les 'élites' qui se moquent du +peuple+ et entonner la vieille rengaine poujadiste du 'Tous pourris !' Or 'Mme Mains propres' est également mise en cause par la justice. (…) Voilà une campagne définitivement empoisonnée, conclut Le Monde, et le débat présidentiel torpillé par ces affaires. Voilà enfin, c’est inévitable, les Français confortés dans leur défiance à l’égard de la parole publique et dans leur rejet, voire leur dégoût, des responsables politiques. »
Tout se fait à l’envers…
Du coup, « à moins de quarante jours de l’échéance, la question se pose, pointe L’Est Républicain : la campagne de la présidentielle aura-t-elle lieu ? Tant, jusqu’ici, elle est uniquement rythmée par les affaires et tient plus de la chronique judiciaire que du récit politique. Au soir du 23 avril, les électeurs, pris à témoin, rendront un premier jugement. Car, à des degrés divers, les trois favoris sont dans le viseur. »
« Cette campagne, qui n’a pas encore montré son vrai visage, délivre tout de même un message vertueux, veut croire Le Midi Libre : elle a mis à nu tous les nœuds au cerveau des prétendants, des outsiders, des favoris. Les Français ont compris que la réalité d’hier, et les promesses qui l’accompagnent, n’est pas la réalité d’aujourd'hui. La sincérité n’habite plus le corps électoral depuis bien longtemps. Il faudra des années pour remettre à l’endroit la parole publique. »
Enfin, soulignent Les Echos, « dans cette élection où tout se fait à l’envers, la manière de faire campagne est questionnée même par les candidats. Faut-il continuer à faire des meetings ? 'Oui, même si on sait que ça ne sert à rien et que ça coûte cher, parce que ça galvanise le candidat', dit un proche de Fillon. Faut-il faire des médias quand ils sont, eux aussi, conspués par le public ? Faut-il développer des canaux propres comme l’a fait avec succès Jean-Luc Mélenchon ? Faut-il s’offrir des bains de foule au risque de se faire siffler, investir les réseaux sociaux ? Faut-il parler à tous ou cibler les auditoires ? Les candidats avancent à tâtons, constatent Les Echos. Ils ne se retrouvent que sur une certitude. Dans cette campagne qui n’a pas encore pu commencer, les débats télévisés, à partir de lundi, seront d’autant plus risqués qu’ils seront déterminants. »