Fespaco: pour Rasmané Ouedraogo, «beaucoup de films n’ont presque pas d’âme»

Avocat dans le film de Sekou Traoré, «L’œil du Cyclone», opposant corrompu dans le film de Mamane, «Bienvenue au Gondwana», ou encore immigré clandestin dans «La promesse» des frères Dardenne, le Burkinabé Rasmané Ouedraogo est une figure du cinéma africain. Un homme qui a lentement construit sa vie de comédien sur le continent et en dehors. Il n’a quasiment manqué aucun Fespaco depuis sa première édition et revient au micro de RFI sur le présent et l’avenir du 7e art africain.

Rfi: Quel est le premier souvenir que vous avez, en tant qu’acteur ou en tant que simple spectateur du Fespaco ?

Rasmané Ouedraogo: Mon premier souvenir date des années 1970. J’étais déjà à l’université, à l’Institut africain d’Education cinématographique de Ouagadougou - INAFEC - qui venait d’être créé par la volonté des cinéastes africains. Les premiers souvenirs, c’était le mythe des réalisateurs, l’approche qu’on avait par rapport à des hommes comme Sembène Ousmane, Timité Bassori, Désir Carré… On les approchait avec toute l’admiration qui sied à l’époque, et puis on rêvait de leur ressembler.

Certains reprochent aux cinéastes africains d’avoir longtemps – au début en tout cas – abordé des thèmes assez ruraux, ramenés au village, toujours sur des questions de famine, d’excision, mariages forcés, etc… et on voit qu’il y a une nouvelle génération de réalisateurs qui essaient de sortir un peu de ce carcan, dit du cinéma africain « à papa ».

Disons les choses. On a parlé du « cinéma-calebasse ». Je refuse de m’inscrire dans ces appellations parce que nous n’avons même pas traité le millième de sujets des films « calebasse ». J’allais dire que nous sommes encore des bébés au niveau de la découverte de toutes les richesses thématiques qui sont à traiter. Donc, ne commençons pas, dès maintenant, à nous autocensurer. Il faut qu’on aille jusqu’au bout. On n’a rien fait encore.

Ce que je reproche aussi à la nouvelle vague, c’est que dans beaucoup de films qui passent aujourd’hui, il n’y a presque pas d’âme. Toutes ces histoires de mariage, de garçons qui couchent avec la sœur, les cousines… Tout est comme ça aujourd’hui.

Les « novelas » africaines ?

Exactement. Même s’il s’agit de traiter de choses des villes, il y a d’autres problèmes en ville. Si vous demandez aux jeunes réalisateurs combien de films ils ont pu voir dans leur existence, ils ne regardent pas de films et c’est ce que je leur reproche. Ils ne s’inspirent pas beaucoup des autres films.

Nous, à l’INAFEC, avions l’obligation de regarder quinze, vingt films par semaine et d’en faire le compte-rendu. Aujourd’hui, on le voit bien, le niveau est en train de décliner, car une chose est de vouloir faire des films, l’autre est de savoir ce qu’on y met.

Qu’est-ce qu’il en est de l’organisation, la structuration et la professionnalisation de ce métier ? Ce sont des sujets qui reviennent régulièrement comme thème au Fespaco. Qu’est-ce que vous pouvez dire là-dessus sur l’évolution, la structuration du métier ?

Il y a deux niveaux. Il y a d’abord, au niveau panafricain, le rôle que n’a pas joué la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) qui est restée dans ses chaussures de 1969 quand on organisait le premier festival à Alger, avec le côté toujours militant et les poings levés. Cela ne finance plus un film. Il faut savoir parler avec des partenaires techniques et financiers qui sont en face.

Quand vous discutez avec eux, ils veulent savoir combien ça va rapporter, en quoi cela peut aider le pays à aller de l’avant, quelles sont les recettes que cela peut créer… Et pour qu’il y ait des recettes, il faut savoir quel sera le nombre de personnes qui seront touchées ou encore s’il y a assez de salles.

S’il n’y a pas ça, c’est du vent. Or, actuellement, c’est ça. On tourne et on souffle du vent car, si vous comptez, vous ne trouverez pas 500 bonnes salles sur toute l’Afrique, un continent de plus d’un milliard, deux milliards de personnes. Il y a là quelque chose qui ne va pas.

D’autre part, les guichets européens se sont amenuisés, sinon fermés, ce qui est logique et normal, car la crise est passée par là. Il faut qu’on réfléchisse à de nouvelles formes de production.

Je m’adresse au jeune étudiant que vous étiez en 1969-1972, qui rêvait donc du cinéma africain. Est-ce qu’aujourd’hui, en 2017, on peut encore faire ce beau rêve du cinéma africain ?

Je me suis toujours posé la question. Si vous prenez l’annuaire téléphonique burkinabè, vous trouverez une longue liste de « Ouedrago Rasmané ». Ils sont commerçants de cola, mécaniciens, vendeurs de voitures… Je me dis que peut-être j’aurais pu aussi faire cela et que je serais mieux aujourd’hui. Mais je ne regrette pas parce qu’il y a une satisfaction que l’on retire quand même. Moi, en tant que comédien surtout, dans ce continent, où que j’aille, je suis sûr que, au moins dans chaque grande ville africaine, j’aurai de l’eau à boire. Quelqu’un m’interpellera, quelqu’un me citera un film dans lequel j’ai joué et cette satisfaction, dans tous les cas, c’est bon. J’espère bien que, sans être trop dur, je pourrai contribuer à relancer une certaine discussion autour de cet art que nous aimons tous.

 

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