A la Une: Ghislaine et Claude, la vengeance aux deux visages

Trois ans après, ils se précisent, ces soupçons. Des documents obtenus par l’émission télévisée « Envoyé Spécial » de France 2, diffusée hier soir, évoquent en effet un « lien » entre l’assassinat de Ghislaine et Claude et le versement des rançons pour la libération de ces otages français, enlevés à Arlit, au Niger.

Les jihadistes ayant revendiqué l’assassinat de nos deux camarades « n'auraient pas perçu l'intégralité de la rançon versée par la France pour libérer les otages d'Arlit », résume, en France, le journal en ligne Mediapart, repris au Mali par le journal en ligne Malijet.

Pour le quotidien burkinabè Le Pays, ce qui est « clair » c'est que « l’omerta est entretenue au plus haut sommet de l’Etat français. Tout semble en effet mis en œuvre pour rendre la tâche difficile à la Justice », estime ce quotidien ouagalais. Lequel, noir sur blanc, pose les questions encore sans réponses : « la DGSE (c’est-à-dire les services secrets extérieurs français), la DGSE, donc, n’avait-elle donc pas payé la totalité de la rançon (pour la libération des otages d’Arlit) ? Y a-t-il eu des détournements au sein du service de renseignement du ministère français de l’Intérieur ou des réseaux djihadistes au point que se sentant floués, les ravisseurs d’alors de Claude et Ghislaine aient décidé d’agir autrement par "vengeance" ? Pourquoi les multiples occasions de libération des otages d’Arlit ont-elles plusieurs fois été bloquées ou retardées par le chef d’état-major particulier de l’Elysée, en la personne du Général Puga ? », se demande Le Pays.

Ce sont donc des témoignages et des notes confidentielles de la DRM, la Direction du renseignement militaire qui établissent cette connexion. Ces éléments accréditent « l’hypothèse » d’un lien entre l’assassinat de Ghislaine et Claude à Kidal et la libération des otages d’Arlit, formule Mediapart. L’une des notes de la DRM évoque une possible « vengeance » d’AQMI, laquelle pourrait être liée au détournement d’une partie de la rançon versée par l'État français pour libérer les otages d’Arlit.

Un jihadiste cité dans une note de la DRM a ainsi « vivement reproché […] de n’avoir jamais reçu de sommes d’argent en remerciement de son aide apportée à la prise en charge de la garde des otages » d’Arlit, énonce encore Mediapart.

Otages d’Areva : micmac à Bamako

Justement. On en sait aussi un peu plus sur ladite rançon versée par la France pour la libération des otages d’Areva. Ou plutôt sur les deux rançons, précise encore ce journal en ligne, une de 12 millions d’euros, l’autre de 30. Au total, donc, « Aqmi a reçu 42 millions d’euros de rançon pour les sept otages d’Areva », affirme l’ancien directeur de cabinet de la DGSE Pierre-Antoine Lorenzi, qui a négocié la seconde libération des otages.

De quoi, à l’évidence, acheter des armes, beaucoup d’armes, à la plus grande consternation de l’ex-président malien Amadou Amani Touré, dit ATT. Cadre d’Air France envoyé par l’ancien PDG de la compagnie aérienne française Jean-Cyril Spinetta pour prendre contact avec les ravisseurs, Guy Delbrel raconte ainsi dans Mediapart, sa visite début 2011 au président malien ATT pour lui transmettre les remerciements de Spinetta car trois otages français vont être libérés. Et là, le président ATT tombe des nues.

C’est la première fois que cette hallucinante histoire est rapportée. « Lorsque je vois ATT, je me rends compte que je lui apprends (cette prochaine) libération, raconte encore Delbrel. Il est désorienté, il me demande de rester et il convoque Mani Coulibaly, le chef de la DGSE malienne. Devant moi, il lui dit qu’il vient d’apprendre de ma bouche la libération des otages. “Est-ce que tu es au courant ?” demande-t-il. Coulibaly (…) baisse la tête et explique : “Je le savais, mais (le négociateur français) Jean-Marc (Gadoullet) m’a dit de ne pas vous informer, que c’est le président Sarkozy qui va vous l’annoncer.” ATT le prend mal et demande à Coulibaly : “Mais c’est qui ton président ? Tu es employé de Sarkozy ou d’ATT ?” Le président lui dit : “Raconte-moi.” Et là Mani (Coulibaly) donne un chiffre : 13 millions (…)   “Eh bien, ça ne se passera pas sur le territoire (malien), décrète ATT” » ! On notera que le chiffre de 13 millions et non de 12 est évoqué ici pour la libération de trois des sept otages d’Arlit.

Selon Guy Delbrel, explique encore ce journal français sur Internet, le président Amadou Toumani Touré « tenait beaucoup à ce que les rançons ne dépassent pas (…) 2 millions par personne ». La suite n’est que cafouillages dans cette « opération secrète » qui a « bel et bien engagé l’État français », souligne Mediapart, qui précise qu’à la suite de cet épisode, « Mani Coulibaly perd(ra) ses fonctions à la tête de la DGSE malienne ».

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