« Après 48 h de paralysie, la ville de Bouaké a retrouvé son animation habituelle », pointe Fraternité Matin à Abidjan. Plusieurs villes du pays ont connu quelques sueurs froides vendredi et samedi. A Bouaké, donc, des militaires en colère ont retenu quelques heures le ministre de la Défense et ont tiré en l’air, provoquant la panique parmi la délégation qui accompagnait le ministre et les journalistes présents. Finalement, tout est rentré dans l’ordre : les autorités ont satisfait les exigences salariales des militaires et ceux-ci sont rentrés dans leurs casernes…
Ce matin, la presse ouest-africaine s’interroge : comment en est-on arrivé là ? Pour le site guinéen Ledjely.com, ce « soulèvement des militaires ivoiriens est symptomatique d’un défaut que les autorités admettent elles-mêmes. Il s’agit de la répartition inéquitable des fruits de la folle croissance qu’affiche le pays depuis un certain temps. La Côte d’Ivoire, sans aucun doute, a retrouvé une certaine embellie économique. Mais ce ne sont pas tous les Ivoiriens qui en ressentent les effets bénéfiques. » Il y a aussi, poursuit le site guinéen, un « déficit de gouvernance administrative. De toute évidence, l’armée a été oubliée. La hiérarchie n’a pas su saisir le malaise qui a ainsi subitement explosé. Le ministère de la Défense est responsable d’une certaine négligence. (…) Et cette attitude est d’autant plus dommageable qu’elle expose l’Etat en général et l’autorité du président de la République en particulier, à la vulnérabilité. »
Traitements différenciés
L’Observateur Paalga au Burkina, complète cette analyse : « après la crise post-électorale, les éléments des ex-Forces nouvelles, combattants pro-Ouattara, ont bénéficié de traitements différenciés au sein de l’armée. Alors que certains d’entre eux ont eu droit à des promotions fulgurantes, avec ce que tout cela suppose comme avantages de toutes sortes, beaucoup continuent de manger du 'garba' sec et de vivre à découverts. Or pour ces derniers, la victoire militaire d’ADO en 2011 découle plus de leur engagement sur le théâtre des opérations que de la vaillance surfaite de ceux qu’il inonde de tous les privilèges. C’est aujourd’hui le sentiment le mieux partagé chez les 'oubliés de papa Ouattara'. »
Du coup, estime Aujourd’hui, autre quotidien burkinabé, « le chef de l’Etat ivoirien doit profiter de cette montée du mercure militaire, pour résoudre une fois pour toutes, la question du DDR (Désarmement, démobilisation et réinsertion) et tous les problèmes connexes créés par l’interminable crise politico-militaire des années 2000. En trouvant des réponses à une foultitude de questions dont voici les principales :
- Si les Wattao, Fofié Kouakou et autre Chérif Ousmane ont été responsabilisés à des postes prestigieux, les hommes qui étaient sous leurs ordres sont-ils traités de façon équitable ?
- Se sentent-ils comme des soldats à part entière ?
- Qu’en est-il de leur avancement et de leur rapport avec la hiérarchie ?
- Ne faut-il pas régler une fois pour toutes, ce sempiternel problème de primes ? »
Ferments de divisions
Avant-hier, le site d’information Mondafrique faisait le point sur la situation en Côte d’Ivoire, à l’aube de cette nouvelle année et insistait justement sur les frustrations générées par les principales institutions politiques et sécuritaires du pays… Des institutions « dont les plus hauts postes restent encore largement accaparés par des personnalités du Nord du pays d’où est originaire Alassane Ouattara. Au risque de générer de graves tensions. » Et Mondafrique de citer Rinaldo Depagne, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour l’ONG International Crisis Group, auteur d’une récente tribune publiée par Jeune Afrique : « Alassane Ouattara a échoué à réformer l’armée, affirme Rinaldo Depagne, où d’anciens responsables de la rébellion des Forces nouvelles occupent toujours une place prépondérante et où les anciens officiers pro-Gbagbo sont marginalisés. En cas de nouvelle bataille pour la conquête du pouvoir, des morceaux entiers de cette armée sans unité sont susceptibles de se détacher et de rejoindre un camp ou un autre. »
Enfin, « et si le malaise était plus profond ? », s’interroge pour sa part Le Pays, au Burkina : « ce coup d’éclat des militaires intervient dans un contexte particulier qui verra le renouvellement des députés de l’Assemblée nationale, à la suite des récentes législatives. Y a-t-il des connexions politiques entre ces mutineries et le calendrier politique du moment, c’est-à-dire la prochaine nomination d’un vice-président et la nomination d'un nouveau président de l'Assemblée nationale ? Rien n’est à exclure. »